|| Chroniquer ? ||
J'ai tenu un fanzine de Rock pendant dix ans. Tout d'abord comme rédacteur en chef puis seul homme à tout faire puisque la vie et ses vicissitudes m'ont séparé des autres rédacteurs après seulement quatre numéros. Sous la plume de Calhoun Mooney, j'y étais bien plus à l'aise dans le dénigrement, la moquerie et la contradiction que dans l'indulgence. Rien n'a changé car tout était sincère, il faut dire que le milieu alternatif - je parle ici des vrais indépendants, pas des inrockuptibles ou des fins de catalogue de Major qui distillent leurs vidéo-clips estampillés indé sur la TNT, la nuit venue - ne regorge pas de pépites, comme ses acteurs le proclament à l'envi. Il était donc facile de pratiquer une scolie moqueuse. Néanmoins, le but n'a jamais été de rabaisser quiconque ni de blesser. Je n'ai jamais affirmé qu'une chose : mon opinion personnelle n'engage que moi. C'est bien à cela que je renvoie quiconque me lit. Tout ce qu'on peut trouver dans cette section, comme ailleurs sur ce site - sauf indication contraire - n'est que l'expression de mon opinion, mon ressenti, mes idées ; inutile de penser que je suis dans le faux, personne ne l'est à avancer des sentiments personnels. Les chroniques qui suivent ne font que refléter ce que je suis parce que quand j'argumente un choix esthétique, je parle de moi. J'ajoute une note très ancienne (2012) qui illustre bien mes positions sur le sujet :
On me dit parfois - plus particulièrement lorsque j'émets une opinion esthétique ; que je suis négatif ou même que je suis exigeant. La plupart du temps, il m'est reproché mes critiques (puisque c'est à cela que mes paroles sont réduites) et leur ton moqueur. Parce que je brocarde les industries et leurs productions spectaculaires qui ne me conviennent pas et que j'y vois une entreprise aussi mercantile que despotique (1). Exemple frappant de cet aveuglement : au retour du concert aux arènes de Nîmes du groupe Radiohead, je me suis entendu dire parce que je donnais mon avis, que je n'étais « pas capable de faire le dixième de ce qu'ils font ». Remarque parfaitement hilarante, sauf à considérer la virtuosité ou les moyens financiers comme des talents. La première est une compétence, la seconde une opportunité. Aucun des deux ne fait la passion, denrée indispensable au talent. Au-delà de l'argument vite dégonflé, je vois surtout la victime d'un système qui, jamais, ne cherche à voir plus loin que ce qu'on lui met sous le nez, principe même de la publicité. Une victime qui, non seulement est inconsciemment convaincue que ce qui se voit, fait du bruit, de l'argent et réunit beaucoup de monde, mérite d'être vu, lu, entendu. C'en est devenu l'argument de tous les marchands d'illusions des chaines hertziennes à qui on reproche leur démagogie, pour faire court. « Bon sang, mais dire que je présente des émissions de merde, c'est dire que les X millions de téléspectateurs de cette même émission sont des cons qui aiment la merde ! » Ce à quoi je réponds « Oui, bien sûr » (voir ailleurs sur le site).
(1) Despotique parce que dotée d'un arsenal de méthodes insidieuses dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
Un Peu, beaucoup, aveuglément, Clovis Cornillac (2014)
À l’hôpital, sur un écran de la taille d’un écran d’ordinateur portable, avec le son d’une radio des années 70, j’ai vu ce film de et avec Clovis Cornillac et une actrice très jolie.
Je fais ces précisions techniques à dessein parce que ce long-métrage n’est pas un film hollywoodien destiné à en mettre plein la vue aux spectateurs mais de les émouvoir.
Émouvoir ?
Il y en a sûrement eu beaucoup d’autres depuis 2001 (date de sortie d’Amélie), mais ils m’ont échappé. Ce film n’est qu’une forme d’hommage à Amélie Poulain.
Et encore, Amélie peut cacher la misère en prétendant être un conte puisqu’elle en a les codes esthétiques et narratifs. Mais ce film-ci s’ancre dans le quotidien et enlise son propos dans la niaiserie. Le conte réaliste n’a pas de raison d’exister, ce serait la rencontre de deux mondes qui s’annihilent l’un l’autre.
Tout ne repose que sur une forme de consentement (encore la suspension consentie de la crédulité) dont je peine à croire qu’il aille au-delà de la séance de bisous chez les producteurs de disney.
Consentir, accepter comme vrais des personnages, caricaturaux, des comportements humains qui n’ont jamais existé, des situations fantasmées et un final plus prévisible qu’un roman de Gavalda.
Ce qui revient à nier l’existence et la nécessité de l’expression artistique qui n’a jamais eu pour objectif qu’émouvoir, donc… avec un truc à mi-chemin du conte dont on sait qu’il est distancié et ne sert que de reflet à nos propres vies et l’exposition du réel tout entier dans l’empirique ? Je n’y vois que de la confusion.
Tout ça pour nous jeter une jolie morale (de conte ?) à la figure, « c’est pas le physique qui compte » ? Sur quel monde de quel univers quantique ?
Alors, revoyons la scène au ralenti et tentons ici de comprendre l’incompréhensible.
« Lui est inventeur de casse-têtes. Investi corps et âme dans son travail, il ne peut se concentrer que dans le silence. Elle est une pianiste accomplie et ne peut vivre sans musique. Elle doit préparer un concours qui pourrait changer sa vie. Ils vont devoir cohabiter sans se voir… »
Ils vont se dire en couple sans s’être jamais vus ou touchés, à travers une cloison.
Il va être amené à lui servir de révélateur et lui retrouvera le goût de vivre à son contact.
À la toute fin, il détruit la cloison à l’aide du jeu incompréhensible qu’il crée depuis sept ans, comme un symbole.
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. C’est impossible !
Évidemment chacun des personnages a son petit secret sombre. Lui s’est retranché dans son appartement après le décès de sa compagne ; elle est coincée comme une porte rouillée.
Évidemment… évidemment… évidemment… évidemment… on pourrait les multiplier à l’infini et c’est là un des problèmes du film, on pourrait le récrire à partir des trois éléments de base.
Les symboles affirment leur présence en la claironnant, ce qui les dépossède de leur nature et de leur utilité.
Pourquoi avais-je abandonné la lecture ?
The Town, Ben Affleck (2010)
(28 octobre 2018) Il existe des associations qui œuvrent pour distraire les enfants à l’hôpital, mais je n’ai jamais entendu parler d’équivalents pour les adultes. En la matière, la télévision règne sans partage.
Hospitalisé depuis le 17 septembre, j’ai réussi à lire et écrire pendant trois semaines et puis j’ai baissé les bras, perdu courage. Je me suis abandonné à l’anxiété générée par la dangereuse désinvolture de l’équipe soignante et je suis passé de l’écrit à l’image…
Le 28 octobre, Arte a diffusé le film The Town de et avec Ben Affleck.
J’étais en confiance, cette chaîne ne diffuse habituellement pas de films inutiles. Et je cherche encore la raison pour laquelle ce film fut diffusé sur ce canal.
Au début, j’ai failli croire au long métrage d’un acteur désireux d’exprimer des choses par lui-même, c’est presque tendu.
Las ! Ben Affleck a bien retenu les leçons d’hollywood et les a appliquées de façon scolaire donc impersonnelle. Le film tourne très vite au western avec fusillades et poursuites dignes des films de James Bond et les questions morales…
… La digression élève l’homme…
Comme d’habitude, les questions morales – qui restent le ressort le plus utilisé dans les histoires, ce qui contribue à en faire des clichés, tout spécialement ceux produits en Californie – sont traitées de façon grossière, expédiées. Ces questions morales, qui auraient pu élever le film d’Affleck par un traitement personnel, ne font que distraire le spectateur des coups de feu échangés entre gendarmes et voleurs.
Ce soir-là, j’aurais pu regarder un James Bond en lieu et place de The Town, et puis j’ai vu le nom de l’acteur et celui de Sophie Marceau, alors j’ai ricané et mon choix était fait.
J’aurais dû en rester aux livres…
Déconfit ?
C’est amusant, le 11 mai 2020, jour du déconfinement, je suis resté couché. Jusqu’à aujourd’hui, date à laquelle je tape ces mots (28 mai de la même année). Parce que le samedi précédent, j’ai trouvé une des deux cicatrices sur ma fesse (voir les articles au sujet de mon retour triomphal de ce service de « soins », fin 2018) en vrac et que le premier geste de soin dans ce cas-là est de stopper tout appui ; rester allongé sur le côté, en d’autres termes. L’idéal étant de rester allongé sur le ventre mais quand on est aussi agile qu’une baleine échouée sur une plage, on évite.
J’ai mis un petit moment à reprendre la lecture puisqu’il est admis par moi-même que l’alitement est devenu la position privilégiée pour cet exercice. J’ai commencé par L’Abbé X, de Claude Ecken, avant de poursuivre par le Karim Beroukka (voir plus bas). Le Premier Sang et Histoire De La Violence ont suivi. L’enchaînement de ces deux derniers livres a été l’occasion de faire une découverte fort singulière. Je parle de découverte mais ce n’en est pas vraiment une tant il est vrai que je tiens ce discours depuis des décennies ; la lecture de ces deux ouvrages a plutôt été une confirmation.
La voici, en deux articles :
Le Premier Sang, Sire Cédric, Le Pré au Clercs (2012)
Qu’est-ce qui fait un bon bouquin ?
Du point de vue de l’éditeur ou du lecteur curieux ?
L’éditeur de ce Le Premier Sang doit être aux anges, c’est un sacré bon bouquin. Le site de l’auteur est formel, lui qui nous promet des cauchemars, qui cite des éloges trouvés à flanc de colonne de magazine…
« Mieux qu’un thriller ! »
« Proche d’un film d’action. »
« Parfait ! Un polar implacable ! »
Le lecteur curieux, lui, a lu peu ou prou la même histoire que celle qu’il a lu dans un livre de Frank Thilliez qu’il a lu il y a deux ans et dont il a oublié le titre, un autre de Jo Hayder, lu à la même période et dont le titre est tout aussi oublié… un ou des flics désabusés, meurtris, cassés, qui s’engagent sur une enquête qui les entraîne dans des tréfonds insoupçonnés de violence et d’horreur. Des meurtres, rituels ou pas, des massacres, étalés sur des années ou pas, perpétrés par un sorcier, un groupe d’illuminés, un tueur en série, peu importe ; du sang, beaucoup de sang, des frissons comme des poignards qui pénètrent des colonnes vertébrales, etc.
Le lecteur curieux se dit que littérature de genre ne devrait pas dire littérature de l’ennui.
Alors, entendons-nous bien, ce n’est pas ennuyeux comme peuvent l’être une partie de jeu de balle au pied ou un concerto de n’importe quel perruqué du XV siècle, non, pas ennuyeux comme ça. Ennuyeux comme un produit de consommation courante qui permet de passer un après-midi rapidement sans que rien ne change, sans bouger une oreille, de 14h à 17h. Ennuyeux comme tout ce qui n’apporte rien à l’existence, comme tous ces machins qu’on nous vend pour du divertissement, comme pour nous divertir… de la vie.
Parce que (étrangement ?), divertir c’est aussi détourner de ce qui occupe ou préoccupe.
Cédric fait très bien ce qu’il sait faire, écrire ces histoires policières noires, il les drape d’univers qu’il semble apprécier. Ça passe très bien le temps, l’éditeur est ravi, il paye ses employés et perpétue son commerce ; l’auteur est satisfait de voir son nom sur des couvertures de livres et le lecteur curieux passe à autre chose, la faim n’a pas disparu dans son ventre entre 14h et 17h…
Histoire De La Violence, Édouard Louis, Seuil (2016)
La façon qu’a Édouard Louis de mettre ses pensées en récit (son style ?) navigue entre le discours oral et l’universitaire (thésard, Bourdieu). Le récit lui-même est presque une observation participante !
Louis, victime et narrateur, parvient à étudier le cas Reda froidement, comme un sociologue, un universitaire. Un croisement entre le roman et l’essai ? Après tout, Louis avoue avoir essayé d’« esquisser une histoire de la violence », pas raconter une histoire violente. Comme David Cronenberg avec son… Hystory Of A Violence.
Mais cette Histoire-là n’est que biographique, intime, égocentrique, focalisée sur un ego déjà, à l’évidence, conscient de son propre narcissisme analytique !
« construire du sens et des explications », p. 96. C’est cela, pourtant ça reste un roman !
Il y a deux récits, celui d’Édouard et celui de sa sœur (parcouru des pensées d’Édouard, entre parenthèses), ce qui donne l’impression d’un double point de vue, un peu comme un champ contre-champ au cinéma. Ces deux récits qui se répondent sont comme celui de En Finir Avec Eddy Bellegueule : un témoignage lucide et conscient, un témoignage qui explique, qui autopsie… Tout ce « travail » d’analyse est aux antipodes de la production d’un Sire Cédric, pas du tout cinégénique, on ne peut pas décrire du Édouard Louis ; seuls les faits, les émotions qu’on y lit et l’analyse spontanée, ressortent de Histoire De La violence. Aucune caméra n’est autorisée là-dedans.
Pourtant, ça reste un roman !Là encore, à travers ce fait divers, ce vol, ce viol, cette rencontre éphémère, Édouard Louis parvient à décrire les rouages d’une éducation (Bourdieu, son mentor), pas seulement celle de son agresseur, la sienne propre. Ce sont tous ces éléments mis bout à bout en seulement 221 pages qui m’en ont fait un… page turner ! oui, comme le Sire Cédric. Pour des raisons diamétralement opposées. Pas de cinéma, ici le lecteur devine facilement comment se termine l’histoire de Louis, alors qu’il brûle de s’étonner, par ailleurs (suivez mon regard) d’apprendre que le bourreau de l’héroïne est son propre père (surprise !) et qu’il disparaîtra à la fin du volume afin de devenir une Némésis diabolique ! quelle originalité, comme personne ne s’y attendait !
Pas de cinéma, de la peinture plutôt, une fresque, la fresque d’un moment de vie, peu importe la dimension temporelle, l’unité est là et bien là qui gravite autour de cette nuit, cette rencontre racontée par deux personnes de la même famille, si différentes, si semblables au fond. Une peinture exécutée au fil des pages, une peinture dont chaque trait, chaque couleur, chaque nuance apparaît lentement, au fil des pages. Les pages que j’ai tournées machinalement, aspiré par les couleurs, les nuances, les traits qui formaient un tableau, un ensemble qui faisait du sens, comme une image qui passe du flou à la netteté. Par petites touches.
Un page turner, mais pas pour les faits, les gestes, les actions. Un page turner de l’intérieur, de l’intime. Les révélations ne s’y font pas sur la réalité mais sur la perception de cette réalité ; la perception et les ressentis qui en découlent.
Jusqu’à l’examen médical de constatation de viol et de tentative de meurtre, jusqu’à ces aveux au sujet du rapport au temps qui trahit une forme de déni de soi, de la vie, des autres, de tout : « … me demander si je préférerais m’ennuyer ou faire quelque chose qui me répugnerait ; je ne faisais donc rien. »
Jusqu’à parler de lui à la troisième personne du singulier ! Jusqu’à sortir de son propre corps et contempler l’horreur advenue, la folie pourquoi pas. Une forme de distorsion de la réalité due à une agression perpétrée sur un corps surmonté d’un ego. Une réaction de défense désordonnée, incompréhensible, délétère, inconcevable. Je suis sorti de cette lecture muet, alors que ma compagne travaillait dans l’autre pièce de mon appartement. Bâillonné par les émotions qu’avaient fait naître les mots de Louis. D’autant plus ému que les vingt dernières pages sont poignantes, car l’auteur s’y déshabille l’âme encore plus que dans les 200 qui précèdent. « Quand j’écris je dis tout, quand je parle je suis lâche », p. 205.
La différence est là, dans ce résultat, ce constat : le produit de consommation courante avec ses morts atroces, ses flots de sang, ses rebondissements prévisibles et ses personnages, caricaturaux m’auront permis de « passer le temps », littéralement, comme passer de 14 à 17 heures en dix minutes (!). Dans le second cas, j’ai contemplé la complexité d’un être déchiré par une agression. Le volume des arguments sur les deux plateaux de la balance ne laissent aucun doute sur l’identité du vainqueur et pourtant ce sont bien les moins nombreux qui l’emportent haut la main. Dans un cas je passe le temps, dans l’autre j’apprends et je m’extasie.
Un coup dur pour la culture de mon salon
J’étais tranquille, j’étais peinard, je me démenais avec mon histoire de mariage pour Casus Belli (printemps 2018, je pense) et ma messagerie m’annonce que j’ai une nouvelle vente sur le site d’occase qui s’enrichit brutalement sur le dos des acheteurs et à l’intérieur de l’ampoule rectale des vendeurs, mais bref, on n’est pas là pour parler de voleurs !
« Une nouvelle vente ! » m’écriai-je en plusieurs langues à la fois, car je suis polyglotte et même pas ça me démange. Une nouvelle vente, c’est sympa, ça permet de rendre un acheteur joyeux et, parfois, de faire de chouettes rencontres. J’ouvre ma messagerie… Non, je déconne, elle est ouverte toute la journée, j’attends des nouvelles de Mars. J’ouvre ma messagerie et là, sous mes yeux fatigués de passer trop de temps devant l’écran de mon ordinateur, lui-même fatigué de ma présence dans son périmètre, je vois le message suivant :
CD AlbumNothing Short Of Total War - 8,00 Euros
Ce qui n’est pas un message, nous sommes d’accord mais nous n’en sommes plus à communiquer au XXI° siècle ma pauvre dame, aujourd’hui on lapide des infos. Et voilà, mon CD – outre-mythique – de Blast First va disparaître ce soir. Je vais attendre l’heure de l’apéro pour cogner chez ma voisine et lui demander de poster le paquet demain matin. Dans 24 heures, il sera en route pour Paris, ville de résidence de l’acheteur. Le fameux CD à une seule piste et dix-neuf morceaux grâce auquel j’ai découvert La Tête de David, le Gros Black, le Violeur, la Bande à Suzanne et les Surfeurs de Trou du Cul…Comme dirait Alain Giresse ou Richard Boringer, je sais plus : je nostalge…
Et je retourne à mon scénario… Avec David.
Les Cinq Rubans d’or, Jack Vance, ActuSF (2013)
Réédition de ce roman de Jack Vance chez ActuSF. J’ai mis des semaines à le lire. Pas réellement étonnant quand on pense que je suis passé par des périodes pénibles et studieuses durant la lecture. Mais – il y a toujours un mais, n’est-il pas ? - à peine plus de deux-cents pages, il ne faut pas plusieurs semaines pour lire à peine plus de deux cents pages !
Alors, pourquoi ?
Parce que je me suis ennuyé. Avec du Vance, oui, madame !
Arrivé aux alentours de la page 120, je me suis posé la question qui sous-tendait cet ennui totalement inattendu. Et je baise mes mots quand je pense aux folles heures que je passai il y a… autour de trente ans à la lecture du cycle de Tschaï ou les quelques textes de cet auteur que je dévorai alors. J’ai pensé à la panne de la création, à la distraction obsessionnelle que constituait ma vie à cette période. Non, quelque chose clochait, un je-ne-sais-quoi qui me soufflait à l’oreille de chercher et chercher mieux.
Et j’ai compris en voyant la date de la première publication de ce titre : 1950.
Les Cinq Rubans d’or est quasiment un premier roman, Vance n’est pas encore l’immense conteur qu’il deviendra (lapalissade) et, à l’évidence, le néophyte en est à chercher un style, un public, une notoriété ?
Les Rubans n’est finalement qu’un roman de gare, avec ses bons côtés (lecture palpitante, rapide, rebondissante, Vance se régale déjà en décrivant des créatures et des civilisations bigarrées) et ses mauvais (écriture assez pauvre, tout va à l’aventure, psychologie des personnages binaires, profondeur du récit zéro). Une enquête rythmée qui se déroule dans l’espace. C’était l’époque, celle de la SF tonitruante et directement inspirée de l’unique mythologie américone : le western. Le Maccarthysme nous est épargné, c’est déjà ça.
L’édition d’Actus SF est très jolie, en tout cas.
Nick Cave & The Bad Seeds, Dock des Suds, marseille, 27 avril 2008
Malgré l’acoustique déplorable du lieu, Nick Cave et les Bad Seeds ont sacrément chamboulé le public. Acquis, voire exclusif, celui-ci est même allé jusqu’à provoquer deux rappels, chose que je n’ai vécue que très rarement dans cette ville.
Il faut dire que, loin de se contenter de laisser agir le charme de leurs chansons, les hommes ont mouillé la chemise et ont fait montre d’une appétence peu commune.
Le nouvel album a été plus qu’honoré, ce qui a eu pour effet de rendre la foule hystérique (Dig! Lazarus Dig! est, en l’espèce, un pousse-au-crime). De grosses impasses sur les vieux albums, mais l’humeur était au gros son et à l’efficacité à deux exceptions notables, aussi tout le monde est reparti conquis.
Ah oui, il y avait une première partie, lamentable, j’irais même jusqu’à dire pitoyable. Quand les groupes (ou les maisons de production) arrêteront d’imposer des groupes pour leurs premières parties et qu’on pourra découvrir des groupes locaux, on aura au moins l’aspect découverte à se mettre sous la dent. En l’occurrence, il s’est plutôt agi d’un sentiment de lassitude rapidement suivi d’impatience.
Aparté : la salle Dock des Suds se situe… je ne sais plus où dans la bonne ville de marseille, mais je me souviens parfaitement que le lieu de ce concert était parfaitement accessible, car de plain pied. Un hangar vaste et spacieux.
Mais je me souviens également très bien que, si j’avais été seul, je serais rentré à la maison avec mon billet dans la poche. Parce que les alentours ressemblaient à un quartier qui a subi une guerilla urbaine. Le bitume est tordu (de rire ?) partout, les bateaux aux trottoirs absents, etc. Je ne parle pas des places bleues, ça n’existe pas dans ce type de quartier et les bonnes gens font de l’amnésie à ce propos lorsqu’il s’agit de trouver une place pour leur propre cendrier. Donc voiture garée, par la personne avec qui j’assistais au concert, sur un trottoir avec transfert au préalable au beau milieu de la rue. C’est peut-être ça la guerilla : se battre contre ses congénères pour simplement vivre ?
The Thing, Matthijs van Heijningen Jr. (2011)
D’ordinaire, je déteste les remake parce que, le plus souvent proposés par les américons, ils ne sont qu’une façon d’adapter une œuvre personnelle à une clientèle précise (le peuple américon et, plus largement, la majorité des pays qu’ils ont colonisés, c’est-à-dire ce qu’on appelle l’occident). L’art travesti en bien de consommation courante : l’émotion codée, les sensations rabotées puis polies, l’expression étouffée, diminuée pour correspondre à des critères de confort psychique appris… une castration en règle.
L’exemple le plus frappant auquel il m’ait été donné d’assister fut l’outrage fait au chef d’œuvre suédois intitulé Let The Right One In. D’un film personnel, subtil et délicat, les américons firent un machin bien gras comme un donut et raffiné comme un hamburger.
D’ordinaire, je ne goûte pas les préquelles (je ne sais pas si le terme est entré au Petit Robert) parce que je préfère qu’un film me laisse la place d’imaginer, de conjecturer, d’anticiper, de fantasmer tout ce que je veux au sujet de ce qui ne m’est ni montré ni explicité. Je pourrais en dire autant au sujet des séquelles, en effet. J’aime qu’un auteur me donne un point de vue, par définition incomplet, pour imaginer les autres.
The Thing, version 2011, est à la fois un remake et une préquelle et pourtant j’ai kiffé !
Je nuance immédiatement mon propos : kiffer n’excède pas le « j’aime bien » dans mon vocabulaire. J’ai donc bien aimé The Thing 2011 (TT2, par opposition à TT1, le film de John Carpenter), alors que c’est un remake et une préquelle.
J’ai bien aimé TT2 pour diverses raisons dont la première est, justement, que c’est un remake et une préquelle sans qu’on soit sûr de l’intention initiale. Le film de, Carpenter appelle à la préquelle par le truchement de la scène qui l’introduit (l’hélico qui poursuit un chien, quoi de mieux pour stimuler l’imagination ?) et il est finalement assez âgé pour justifier un remake au regard des évolutions incroyables qu’ont connus les effets spéciaux ces trente dernières années.
TT2 est un très bon remake tout en étant une préquelle, je le rappelle au cas où je n’aurais pas assez insisté précédemment. Un remake respectueux, ni surenchère méprisante ni copie, carbone.
Les efforts ont porté sur l’ambiance, pas les artifices, même si les effets spéciaux sont présents. Présents, pas envahissants, et très réussis. La bestiole était déjà fascinante, elle en devient belle (notion très subjective).
D’autant qu’on n’assiste pas à la mise à mort de Rob Bottin (maquilleur de TT1) par pulvérisation, mais plutôt à une actualisation (numérique) de son boulot sur le film de Carpenter. Le côté foutraque de l’alien est conservé, les deux têtes partiellement fusionnées sont explicitées, etc.
La structure du film est presque identique, les scènes de tension conservées et légèrement différentes (le test avec les échantillons de sang devient…), bref, c’est un remake (jusqu’au générique de début).
Remake qui ne raconte pas la même histoire puisqu’il relate les événements qui ont précédé ceux de TT1 !
Une préquelle, donc, CQFD !
Nouveaux personnages (pas toujours profonds, c’est vrai, mais ceux de TT1 l’étaient-ils et est-ce bien le but de films pareils ?), confrontation différente à la créature (beaucoup plus explicite mais tout de même modérée) et nouveaux éléments. C’est d’ailleurs la partie que j’ai le moins appréciée mais qui apporte un vrai plus par rapport à son modèle : deux personnages pénètrent dans le vaisseau spatial et nous sommes amenés à voir une entité tout à fait originale. Ce qui laisse moins de place à l’imagination du spectateur, voir le début de cette chronique.
The Thing 2011, un bon remake, sorte d’humble mise à jour d’un excellent film, qui raconte ce que le début du Carpenter cachait (et un peu plus) avec une efficacité de série B tout à fait honorable.
…
Il me reste maintenant à visionner le film de 1951…
The Thing From Another World, Christian Nyby (1951)
La boucle est bouclée : j’ai vu The Thing From Another Planet, le film original de 1951.
Je ne sais toujours pas – et ne saurai probablement jamais – si le long-métrage est une adaptation fidèle de la nouvelle ou pas, mais peu importe.
C’est un film d’après-guerre (les russes sont immédiatement mentionnés quand un OVNI atterrit sur terre, on sent à peine le Mc carthysme rampant), en noir et blanc, réalisé 31 ans avant le, Carpenter, lui-même réalisé 29 ans avant celui de 2011. Amusant, car, comme je le disais pour TT2 (qui du coup devient TT3), l’âge du film justifie le remake, ne serait-ce que pour les effets spéciaux. La Chose est jouée par un acteur grand et balèze, vaguement grimé. Une bestiole humanoïde montrée à deux ou trois reprises. Pas d’idée d’angoisse comme dans TT2 et 3.
Bien entendu, l’horreur de l’époque n’a plus cours et ne réside pratiquement que dans la peur de l’invasion (saletés de communistes !) et dans l’aspect… terrifiant de la musique qui n’a de terrifiant que le peu d’implication qu’a manifestement mis son compositeur à la créer.
Pour moi, le film ne revêt qu’un intérêt très réduit mais, quand on le regarde plus de soixante ans après, avec deux remake dans les pattes, c’est une autre paire de manche.
On s’aperçoit que, Carpenter a pris beaucoup de libertés, et c’est tant mieux, et que, finalement, c’est TT3 qui ressemble le plus à TT1… Tout en collant à TT2.
On n’en sortira pas, remake, préquelle, séquelle, pfiou !
TT1, comme TT3 commence avec la découverte du vaisseau spatial et le rapatriement de la créature avec le glaçon tout autour. Glaçon qui fond dans TT1 pour libérer The Thing, créature qui fait voler le glaçon en éclat pour TT3.
Mais les similitudes s’arrêtent là.
Dans TT1, la chose est comparée… à un légume (une super, carotte !) et se reproduit très rapidement grâce au sang mais il n’est jamais question d’imiter une forme de vie, pas dans le sens de, Carpenter, en tout cas. C’est apparemment ce dernier qui a introduit l’idée d’imitation cellulaire. Dans TT1, il s’agit de détruire le monstre pour les militaires et l’examiner pour le scientifique. Une opposition toute théorique très en vogue à l’époque. Le film dure 86 minutes, parce qu’il n’y a qu’un embryon de scénario : découverte, compréhension, destruction.
En conclusion, chaque film de la série est très éloquent sur l’époque à laquelle il a été réalisé et c’est un vrai plaisir de comparer les trois. Par exemple, le graphisme du titre date de 1951 !
Under The Skin, Jonathan Glazer (2014)
J’ai vu Under The Skin, ce matin.
On se moque bien de savoir de quel matin je parle, tenez-vous bien !
Presque deux heures que je qualifierais de… âpres mais captivantes.
Under The Skin ne pratique pas le contact avec son public, il reste à distance comme est supposée le faire sa protagoniste principale. Il est de ces films sans concessions, presque égoïste, mise en images de la vision d’un metteur en scène (en l’occurrence adaptation d’un roman).
Le rythme est lent, contemplatif. Un long-métrage qui ne se donne pas, qui nécessite de la réflexion, de l’attention et un vrai abandon sensoriel ; du cinéma, à mes yeux.
Les rares effets spéciaux sont très bien intégrés et ne constituent pas le seul intérêt du film, ils sont un moyen, ce qu’ils devraient se limiter à être en matière de cinéma.
L’histoire n’est pas loin de n’être qu’un prétexte tant le principal est dans les symboles, les ressentis, les sensations, plus suggestif que figuratif. À ce titre, la bande son et la musique sont cruciales et font partie intégrante de la réussite sensuelle du film. Déjà, ça n’est pas de la science-fiction stricto sensu (comme le claironnent les fiches trouvées sur le net) mais, là encore, peu importe.
Le film m’a rappelé Trouble Every Day en plus… anglo-saxon ; anglo-saxon comme l’écriture factuelle de Carver ou Salinger, il montre sans appuyer, sans décrire, sans peser. Et c’est là, à mon sens, le seul bémol que je vois dans mon appréciation du long-métrage. On ne peut que supposer que la créature incarnée par Scarlett se met à éprouver de la compassion (humanité ? émotions ?) en revêtant cette « peau » (le titre) humaine car l’actrice reste impassible du début à la fin et rien – à part ce qu’on peut déduire des fameux faits montrés, aperçus ou devinés, c’est là un des intérêts de la participation active du spectateur – ne suggère qu’elle change, qu’elle éprouve. Or, un film aussi implicite ne peut se contenter de vides pareils.
En un mot comme en cent, on aime ou on déteste.
Il y a fort à parier que celles et ceux qui se sont impatientés en voyant les 3m50 qui suivent le générique (abstraction totale, incompréhensible dans un premier temps), n’ont pas supporté le reste.
A contrario, quiconque aime les singularités, interroger son esprit et ses sens, peut se sentir transporté par ce long métrage.
The Box, Richard Kelly (2009)
Le metteur en scène de Donnie Darko et Southland Tales se propose de revisiter une nouvelle de Richard Matheson, sorte de demi-dieu américon de la nouvelle fantastique courte et auteur hollywoodien prolifique.
Kelly ne respecte guère la lettre de la nouvelle (la chute du texte est à peine évoquée dans le film, de façon anecdotique) et n’en garde que le prétexte fantastique (une boîte à bouton, si tu appuies tu touches le pactole mais quelqu’un meurt) pour l’agrémenter de ses propres thèmes qui rejoignent vite ceux de son précédent film.
La critique voit, sous le substrat fantastique donc, une réflexion philosophique teintée de références bibliques. Le public – il faut situer le film dans son époque – ne cherche que divertissement et scénario surprenant.
Or, Kelly n’a pas le courage de se positionner lors de la fin du film, tout reste à imaginer. Il lâche, à la fois public et critique dans un gouffre d’intentions.
D’un côté, il n’a que deux heures de film pour montrer ce qu’il a extrapolé, ça foire, car le garçon est, certes, ambitieux mais ne s’appelle pas Kubrick. Ce n’est pas qu’un film fantastique. De l’autre, tout est confus, les pistes sont amorcées avec la même intensité, le garçon ne sait pas suggérer, jouer du mystère, il montre sans talent ni personnalité ; au final l’horreur du geste perd son poids philosophique pour s’alléger comme dans un film de SF hollywoodien dans lequel tout n’est plus que spectacle passif.
Et la fin n’en est pas une, bien évidemment…