|| Chroniquer ? ||
J'ai tenu un fanzine de Rock pendant dix ans. Tout d'abord comme rédacteur en chef puis seul homme à tout faire puisque la vie et ses vicissitudes m'ont séparé des autres rédacteurs après seulement quatre numéros. Sous la plume de Calhoun Mooney, j'y étais bien plus à l'aise dans le dénigrement, la moquerie et la contradiction que dans l'indulgence. Rien n'a changé car tout était sincère, il faut dire que le milieu alternatif - je parle ici des vrais indépendants, pas des inrockuptibles ou des fins de catalogue de Major qui distillent leurs vidéo-clips estampillés indé sur la TNT, la nuit venue - ne regorge pas de pépites, comme ses acteurs le proclament à l'envi. Il était donc facile de pratiquer une scolie moqueuse. Néanmoins, le but n'a jamais été de rabaisser quiconque ni de blesser. Je n'ai jamais affirmé qu'une chose : mon opinion personnelle n'engage que moi. C'est bien à cela que je renvoie quiconque me lit. Tout ce qu'on peut trouver dans cette section, comme ailleurs sur ce site - sauf indication contraire - n'est que l'expression de mon opinion, mon ressenti, mes idées ; inutile de penser que je suis dans le faux, personne ne l'est à avancer des sentiments personnels. Les chroniques qui suivent ne font que refléter ce que je suis parce que quand j'argumente un choix esthétique, je parle de moi. J'ajoute une note très ancienne (2012) qui illustre bien mes positions sur le sujet :
On me dit parfois - plus particulièrement lorsque j'émets une opinion esthétique ; que je suis négatif ou même que je suis exigeant. La plupart du temps, il m'est reproché mes critiques (puisque c'est à cela que mes paroles sont réduites) et leur ton moqueur. Parce que je brocarde les industries et leurs productions spectaculaires qui ne me conviennent pas et que j'y vois une entreprise aussi mercantile que despotique (1). Exemple frappant de cet aveuglement : au retour du concert aux arènes de Nîmes du groupe Radiohead, je me suis entendu dire parce que je donnais mon avis, que je n'étais « pas capable de faire le dixième de ce qu'ils font ». Remarque parfaitement hilarante, sauf à considérer la virtuosité ou les moyens financiers comme des talents. La première est une compétence, la seconde une opportunité. Aucun des deux ne fait la passion, denrée indispensable au talent. Au-delà de l'argument vite dégonflé, je vois surtout la victime d'un système qui, jamais, ne cherche à voir plus loin que ce qu'on lui met sous le nez, principe même de la publicité. Une victime qui, non seulement est inconsciemment convaincue que ce qui se voit, fait du bruit, de l'argent et réunit beaucoup de monde, mérite d'être vu, lu, entendu. C'en est devenu l'argument de tous les marchands d'illusions des chaines hertziennes à qui on reproche leur démagogie, pour faire court. « Bon sang, mais dire que je présente des émissions de merde, c'est dire que les X millions de téléspectateurs de cette même émission sont des cons qui aiment la merde ! » Ce à quoi je réponds « Oui, bien sûr » (voir ailleurs sur le site).
(1) Despotique parce que dotée d'un arsenal de méthodes insidieuses dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
Dagon, Stuart Gordon (2001)
Ne nous laissons pas abuser par le titre de ce long-métrage. Dagon n’y fait qu’un cameo et ne sert que de menace latente. Il s'agit de l’adaptation du Cauchemar d'Innsmouth de Lovecraft.
J’ai visionné la cassette de ce Dagon juste après celle du film de Dominic Cooper. Quelques clics sur la toile suffisent à innocenter Cooper : sa filmographie rachitique le prouve, nous sommes bien en présence d’un réalisateur médiocre qui fait son boulot à hollywood comme d’autres le subissent derrière des hygiaphones qui les isolent de la vie.
Stuart Gordon, comme on pourrait le dire d’un Yuzna, est sûrement de cette trempe si répandue mais il a pour lui une forme de cinéphilie qui rend ses films ingérables, voire comestibles. C’est là toute la différence avec Cooper.
Dagon est un film à petit budget avec ses acteurs de seconde zone (courts-métrages, séries, jeux vidéo!), ses actrices de seconde zone (jolies, inexpressives, promptes à dévoiler un sein pour les besoins… du réalisateur), ses effets spéciaux de seconde main (maquillages bricolés à la va-vite contre quelques incrustations digitales produites sur ordinateur cacochyme) et son scénario actualisé d’une nouvelle vieille d’un siècle, c’est-à-dire insuffisant pour les standards actuels de toujours-plus, plus de durée, plus d’effets spéciaux, etc.
Mais, à l’inverse d’un Cooper et de son phare isolé qui voudrait plaire à tous, Gordon tape dans le film de série B de genre qui s’adresse aux amateurs dudit genre. Impossible de faire une fausse note. Pourtant, les couleurs hurlent, le décor sent le carton pâte, les visages ne sont que rictus, etc. on n’y croit pas plus qu’à l’histoire du gardien de phare, mais on est au cinéma, théâtre de l’illusion, salle obscure de toutes les suspensions consenties de l’incrédulité.
Edgar Allan Poe’s Lighthouse Keeper, Dominic Cooper (2016)
Quand on considère que Dominic Cooper n’a pas fait que réaliser ce film, mais qu’il l’a également produit, c’est à se demander si l’arrogance ne touche pas tout le monde de l’autre côté de l’océan Atlantique.
Qu’est-ce qui a pu passer par la tête de cet homme quand il s’est dit qu’il allait financer (à l’évidence en étant fauché) et réaliser (à l’évidence sans talent) un film au scénario vaguement inspiré d’une nouvelle inachevée de Poe ?
Première hypothèse : la gloire et la fortune. Non ! impossible d’imaginer que, en ces temps de règne de l’argent, on puisse croire que la médiocrité suffit à porter un homme au pinacle !
Deuxième hypothèse : devenir culte, comme un Brian Yuzna, avec une série B désargentée, au contenu anémique et sans imagination ?
Hypothèse suivante : faire son métier comme un fonctionnaire blasé qui n’a d’ambition que celle de nourrir sa famille, au mieux ? Plus probable.
Ce Lighthouse est le film inutile et insultant d’un pauvre hère qui devrait se tourner vers un métier qui lui correspond…
Splinter, Toby Wilkins (2008)
Pas grand-chose à dire au sujet de Splinter, produit de consommation courante par excellence qui vise et atteint son public. C'est bien balancé, jamais bâclé comme on pourrait le penser d'un film fait par, pour et probablement avec des amateurs de films d'horreur gavés de pop-corn. Les créatures sont superbes et souvent, soit dissimulées, soit entraperçues. C'est bien ancré dans un certain réel américon, celui du quotidien passable ; quelques personnages, un décor, un monstre sorti d'on-se-fout-de-savoir-où et pif ! ça nous fait 80 minutes à serrer les fesses en bouffant du pop-corn et/ou en tripotant sa copine. Le personnage dispensable disparaît très vite, bouffé par le monstre, les gentils en sortent vivants, le personnage ambigu se sacrifie et la fin est une invitation pour une suite. La routine du cinéma de (ce) genre.
Below, David Twohy (2002)
Je viens de visionner la cassette de Below dont l’action se déroule à l’intérieur d’un sous-marin sur les coursives duquel suinte… la culpabilité. Tous les sujets ont leur intérêt, pour un plus ou moins grand nombre de personnes, mais tous les sujets n’ont pas la chance de bénéficier d’un traitement digne. Below n’a bénéficié que d’un intérêt limité de la part de ses producteurs. Écrit à six mains, il n’a qu’une trame linéaire fort peu surprenante ; réalisé par un garçon qui ne sait faire que des films ordinaires, lisses ; Below n’a pas de personnalité, il ne montre qu’un équipage en proie à des émotions fortes en essayant vainement d’impliquer le spectateur. Bof.
Meurtres Sans Ordonnance, Tobias Lindholm (2022)
Il serait temps de poser sérieusement la question de la raison d’être du cinéma. À quoi peut servir Meurtre Sans Ordonnance (titre français exécrable comme d'accoutumée) ? Ce n’est que l’équivalent d’un article dans un hebdomadaire à sensation : « Un infirmier a tué des dizaines de patients hospitalisés, il n’a jamais expliqué ces meurtres, n’a provoqué que des soupçons chez ses employeurs et aucun de ces hôpitaux n’a entamé de poursuite ». Le choix des producteurs a été de porter ça à l’écran, sans fard ni artifice, sur deux heures. Ça n’est pas le thriller que ça prétend être puisqu’on connaît l’identité du tueur dès la scène d’introduction et la tension est nulle tout du long ; ça n’est pas un drame puisque la focale est portée sur la relation entre le tueur-infirmier et la « bonne infirmière », relation binaire qui nous apprend qu’elle est malade du cœur et qu’il est extrêmement prévenant avec elle et ses enfants. Ça n’est même pas un film politique puisque l’incurie des établissements de soin n’est qu’évoquée une seconde avant le générique… de fin. Et après ? Après, rien. Il tue, elle s’interroge et, en conclusion, on a droit à dix minutes de face-à-face vide de toute émotion (si un spectateur a perçu cette scène comme émouvante, il devrait consulter un cardiologue, lui aussi !). Il prend perpète et elle est sauvée grâce à une opération du cœur. Ouf ! On a failli ressentir quelque chose !
Un Peu, beaucoup, aveuglément, Clovis Cornillac (2014)
À l’hôpital, sur un écran de la taille d’un écran d’ordinateur portable, avec le son d’une radio des années 70, j’ai vu ce film de et avec Clovis Cornillac et une actrice très jolie.
Je fais ces précisions techniques à dessein parce que ce long-métrage n’est pas un film hollywoodien destiné à en mettre plein la vue aux spectateurs mais de les émouvoir.
Émouvoir ?
Il y en a sûrement eu beaucoup d’autres depuis 2001 (date de sortie d’Amélie), mais ils m’ont échappé. Ce film n’est qu’une forme d’hommage à Amélie Poulain.
Et encore, Amélie peut cacher la misère en prétendant être un conte puisqu’elle en a les codes esthétiques et narratifs. Mais ce film-ci s’ancre dans le quotidien et enlise son propos dans la niaiserie. Le conte réaliste n’a pas de raison d’exister, ce serait la rencontre de deux mondes qui s’annihilent l’un l’autre.
Tout ne repose que sur une forme de consentement (encore la suspension consentie de la crédulité) dont je peine à croire qu’il aille au-delà de la séance de bisous chez les producteurs de disney.
Consentir, accepter comme vrais des personnages, caricaturaux, des comportements humains qui n’ont jamais existé, des situations fantasmées et un final plus prévisible qu’un roman de Gavalda.
Ce qui revient à nier l’existence et la nécessité de l’expression artistique qui n’a jamais eu pour objectif qu’émouvoir, donc… avec un truc à mi-chemin du conte dont on sait qu’il est distancié et ne sert que de reflet à nos propres vies et l’exposition du réel tout entier dans l’empirique ? Je n’y vois que de la confusion.
Tout ça pour nous jeter une jolie morale (de conte ?) à la figure, « c’est pas le physique qui compte » ? Sur quel monde de quel univers quantique ?
Alors, revoyons la scène au ralenti et tentons ici de comprendre l’incompréhensible.
« Lui est inventeur de casse-têtes. Investi corps et âme dans son travail, il ne peut se concentrer que dans le silence. Elle est une pianiste accomplie et ne peut vivre sans musique. Elle doit préparer un concours qui pourrait changer sa vie. Ils vont devoir cohabiter sans se voir… »
Ils vont se dire en couple sans s’être jamais vus ou touchés, à travers une cloison.
Il va être amené à lui servir de révélateur et lui retrouvera le goût de vivre à son contact.
À la toute fin, il détruit la cloison à l’aide du jeu incompréhensible qu’il crée depuis sept ans, comme un symbole.
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. C’est impossible !
Évidemment chacun des personnages a son petit secret sombre. Lui s’est retranché dans son appartement après le décès de sa compagne ; elle est coincée comme une porte rouillée.
Évidemment… évidemment… évidemment… évidemment… on pourrait les multiplier à l’infini et c’est là un des problèmes du film, on pourrait le récrire à partir des trois éléments de base.
Les symboles affirment leur présence en la claironnant, ce qui les dépossède de leur nature et de leur utilité.
Pourquoi avais-je abandonné la lecture ?
The Town, Ben Affleck (2010)
(28 octobre 2018) Il existe des associations qui œuvrent pour distraire les enfants à l’hôpital, mais je n’ai jamais entendu parler d’équivalents pour les adultes. En la matière, la télévision règne sans partage.
Hospitalisé depuis le 17 septembre, j’ai réussi à lire et écrire pendant trois semaines et puis j’ai baissé les bras, perdu courage. Je me suis abandonné à l’anxiété générée par la dangereuse désinvolture de l’équipe soignante et je suis passé de l’écrit à l’image…
Le 28 octobre, Arte a diffusé le film The Town de et avec Ben Affleck.
J’étais en confiance, cette chaîne ne diffuse habituellement pas de films inutiles. Et je cherche encore la raison pour laquelle ce film fut diffusé sur ce canal.
Au début, j’ai failli croire au long métrage d’un acteur désireux d’exprimer des choses par lui-même, c’est presque tendu.
Las ! Ben Affleck a bien retenu les leçons d’hollywood et les a appliquées de façon scolaire donc impersonnelle. Le film tourne très vite au western avec fusillades et poursuites dignes des films de James Bond et les questions morales…
… La digression élève l’homme…
Comme d’habitude, les questions morales – qui restent le ressort le plus utilisé dans les histoires, ce qui contribue à en faire des clichés, tout spécialement ceux produits en Californie – sont traitées de façon grossière, expédiées. Ces questions morales, qui auraient pu élever le film d’Affleck par un traitement personnel, ne font que distraire le spectateur des coups de feu échangés entre gendarmes et voleurs.
Ce soir-là, j’aurais pu regarder un James Bond en lieu et place de The Town, et puis j’ai vu le nom de l’acteur et celui de Sophie Marceau, alors j’ai ricané et mon choix était fait.
J’aurais dû en rester aux livres…
Déconfit ?
C’est amusant, le 11 mai 2020, jour du déconfinement, je suis resté couché. Jusqu’à aujourd’hui, date à laquelle je tape ces mots (28 mai de la même année). Parce que le samedi précédent, j’ai trouvé une des deux cicatrices sur ma fesse (voir les articles au sujet de mon retour triomphal de ce service de « soins », fin 2018) en vrac et que le premier geste de soin dans ce cas-là est de stopper tout appui ; rester allongé sur le côté, en d’autres termes. L’idéal étant de rester allongé sur le ventre mais quand on est aussi agile qu’une baleine échouée sur une plage, on évite.
J’ai mis un petit moment à reprendre la lecture puisqu’il est admis par moi-même que l’alitement est devenu la position privilégiée pour cet exercice. J’ai commencé par L’Abbé X, de Claude Ecken, avant de poursuivre par le Karim Beroukka (voir plus bas). Le Premier Sang et Histoire De La Violence ont suivi. L’enchaînement de ces deux derniers livres a été l’occasion de faire une découverte fort singulière. Je parle de découverte mais ce n’en est pas vraiment une tant il est vrai que je tiens ce discours depuis des décennies ; la lecture de ces deux ouvrages a plutôt été une confirmation.
La voici, en deux articles :
Le Premier Sang, Sire Cédric, Le Pré au Clercs (2012)
Qu’est-ce qui fait un bon bouquin ?
Du point de vue de l’éditeur ou du lecteur curieux ?
L’éditeur de ce Le Premier Sang doit être aux anges, c’est un sacré bon bouquin. Le site de l’auteur est formel, lui qui nous promet des cauchemars, qui cite des éloges trouvés à flanc de colonne de magazine…
« Mieux qu’un thriller ! »
« Proche d’un film d’action. »
« Parfait ! Un polar implacable ! »
Le lecteur curieux, lui, a lu peu ou prou la même histoire que celle qu’il a lu dans un livre de Frank Thilliez qu’il a lu il y a deux ans et dont il a oublié le titre, un autre de Jo Hayder, lu à la même période et dont le titre est tout aussi oublié… un ou des flics désabusés, meurtris, cassés, qui s’engagent sur une enquête qui les entraîne dans des tréfonds insoupçonnés de violence et d’horreur. Des meurtres, rituels ou pas, des massacres, étalés sur des années ou pas, perpétrés par un sorcier, un groupe d’illuminés, un tueur en série, peu importe ; du sang, beaucoup de sang, des frissons comme des poignards qui pénètrent des colonnes vertébrales, etc.
Le lecteur curieux se dit que littérature de genre ne devrait pas dire littérature de l’ennui.
Alors, entendons-nous bien, ce n’est pas ennuyeux comme peuvent l’être une partie de jeu de balle au pied ou un concerto de n’importe quel perruqué du XV siècle, non, pas ennuyeux comme ça. Ennuyeux comme un produit de consommation courante qui permet de passer un après-midi rapidement sans que rien ne change, sans bouger une oreille, de 14h à 17h. Ennuyeux comme tout ce qui n’apporte rien à l’existence, comme tous ces machins qu’on nous vend pour du divertissement, comme pour nous divertir… de la vie.
Parce que (étrangement ?), divertir c’est aussi détourner de ce qui occupe ou préoccupe.
Cédric fait très bien ce qu’il sait faire, écrire ces histoires policières noires, il les drape d’univers qu’il semble apprécier. Ça passe très bien le temps, l’éditeur est ravi, il paye ses employés et perpétue son commerce ; l’auteur est satisfait de voir son nom sur des couvertures de livres et le lecteur curieux passe à autre chose, la faim n’a pas disparu dans son ventre entre 14h et 17h…
Histoire De La Violence, Édouard Louis, Seuil (2016)
La façon qu’a Édouard Louis de mettre ses pensées en récit (son style ?) navigue entre le discours oral et l’universitaire (thésard, Bourdieu). Le récit lui-même est presque une observation participante !
Louis, victime et narrateur, parvient à étudier le cas Reda froidement, comme un sociologue, un universitaire. Un croisement entre le roman et l’essai ? Après tout, Louis avoue avoir essayé d’« esquisser une histoire de la violence », pas raconter une histoire violente. Comme David Cronenberg avec son… Hystory Of A Violence.
Mais cette Histoire-là n’est que biographique, intime, égocentrique, focalisée sur un ego déjà, à l’évidence, conscient de son propre narcissisme analytique !
« construire du sens et des explications », p. 96. C’est cela, pourtant ça reste un roman !
Il y a deux récits, celui d’Édouard et celui de sa sœur (parcouru des pensées d’Édouard, entre parenthèses), ce qui donne l’impression d’un double point de vue, un peu comme un champ contre-champ au cinéma. Ces deux récits qui se répondent sont comme celui de En Finir Avec Eddy Bellegueule : un témoignage lucide et conscient, un témoignage qui explique, qui autopsie… Tout ce « travail » d’analyse est aux antipodes de la production d’un Sire Cédric, pas du tout cinégénique, on ne peut pas décrire du Édouard Louis ; seuls les faits, les émotions qu’on y lit et l’analyse spontanée, ressortent de Histoire De La violence. Aucune caméra n’est autorisée là-dedans.
Pourtant, ça reste un roman !Là encore, à travers ce fait divers, ce vol, ce viol, cette rencontre éphémère, Édouard Louis parvient à décrire les rouages d’une éducation (Bourdieu, son mentor), pas seulement celle de son agresseur, la sienne propre. Ce sont tous ces éléments mis bout à bout en seulement 221 pages qui m’en ont fait un… page turner ! oui, comme le Sire Cédric. Pour des raisons diamétralement opposées. Pas de cinéma, ici le lecteur devine facilement comment se termine l’histoire de Louis, alors qu’il brûle de s’étonner, par ailleurs (suivez mon regard) d’apprendre que le bourreau de l’héroïne est son propre père (surprise !) et qu’il disparaîtra à la fin du volume afin de devenir une Némésis diabolique ! quelle originalité, comme personne ne s’y attendait !
Pas de cinéma, de la peinture plutôt, une fresque, la fresque d’un moment de vie, peu importe la dimension temporelle, l’unité est là et bien là qui gravite autour de cette nuit, cette rencontre racontée par deux personnes de la même famille, si différentes, si semblables au fond. Une peinture exécutée au fil des pages, une peinture dont chaque trait, chaque couleur, chaque nuance apparaît lentement, au fil des pages. Les pages que j’ai tournées machinalement, aspiré par les couleurs, les nuances, les traits qui formaient un tableau, un ensemble qui faisait du sens, comme une image qui passe du flou à la netteté. Par petites touches.
Un page turner, mais pas pour les faits, les gestes, les actions. Un page turner de l’intérieur, de l’intime. Les révélations ne s’y font pas sur la réalité mais sur la perception de cette réalité ; la perception et les ressentis qui en découlent.
Jusqu’à l’examen médical de constatation de viol et de tentative de meurtre, jusqu’à ces aveux au sujet du rapport au temps qui trahit une forme de déni de soi, de la vie, des autres, de tout : « … me demander si je préférerais m’ennuyer ou faire quelque chose qui me répugnerait ; je ne faisais donc rien. »
Jusqu’à parler de lui à la troisième personne du singulier ! Jusqu’à sortir de son propre corps et contempler l’horreur advenue, la folie pourquoi pas. Une forme de distorsion de la réalité due à une agression perpétrée sur un corps surmonté d’un ego. Une réaction de défense désordonnée, incompréhensible, délétère, inconcevable. Je suis sorti de cette lecture muet, alors que ma compagne travaillait dans l’autre pièce de mon appartement. Bâillonné par les émotions qu’avaient fait naître les mots de Louis. D’autant plus ému que les vingt dernières pages sont poignantes, car l’auteur s’y déshabille l’âme encore plus que dans les 200 qui précèdent. « Quand j’écris je dis tout, quand je parle je suis lâche », p. 205.
La différence est là, dans ce résultat, ce constat : le produit de consommation courante avec ses morts atroces, ses flots de sang, ses rebondissements prévisibles et ses personnages, caricaturaux m’auront permis de « passer le temps », littéralement, comme passer de 14 à 17 heures en dix minutes (!). Dans le second cas, j’ai contemplé la complexité d’un être déchiré par une agression. Le volume des arguments sur les deux plateaux de la balance ne laissent aucun doute sur l’identité du vainqueur et pourtant ce sont bien les moins nombreux qui l’emportent haut la main. Dans un cas je passe le temps, dans l’autre j’apprends et je m’extasie.
Un coup dur pour la culture de mon salon
J’étais tranquille, j’étais peinard, je me démenais avec mon histoire de mariage pour Casus Belli (printemps 2018, je pense) et ma messagerie m’annonce que j’ai une nouvelle vente sur le site d’occase qui s’enrichit brutalement sur le dos des acheteurs et à l’intérieur de l’ampoule rectale des vendeurs, mais bref, on n’est pas là pour parler de voleurs !
« Une nouvelle vente ! » m’écriai-je en plusieurs langues à la fois, car je suis polyglotte et même pas ça me démange. Une nouvelle vente, c’est sympa, ça permet de rendre un acheteur joyeux et, parfois, de faire de chouettes rencontres. J’ouvre ma messagerie… Non, je déconne, elle est ouverte toute la journée, j’attends des nouvelles de Mars. J’ouvre ma messagerie et là, sous mes yeux fatigués de passer trop de temps devant l’écran de mon ordinateur, lui-même fatigué de ma présence dans son périmètre, je vois le message suivant :
CD AlbumNothing Short Of Total War - 8,00 Euros
Ce qui n’est pas un message, nous sommes d’accord mais nous n’en sommes plus à communiquer au XXI° siècle ma pauvre dame, aujourd’hui on lapide des infos. Et voilà, mon CD – outre-mythique – de Blast First va disparaître ce soir. Je vais attendre l’heure de l’apéro pour cogner chez ma voisine et lui demander de poster le paquet demain matin. Dans 24 heures, il sera en route pour Paris, ville de résidence de l’acheteur. Le fameux CD à une seule piste et dix-neuf morceaux grâce auquel j’ai découvert La Tête de David, le Gros Black, le Violeur, la Bande à Suzanne et les Surfeurs de Trou du Cul…Comme dirait Alain Giresse ou Richard Boringer, je sais plus : je nostalge…
Et je retourne à mon scénario… Avec David.
Les Cinq Rubans d’or, Jack Vance, ActuSF (2013)
Réédition de ce roman de Jack Vance chez ActuSF. J’ai mis des semaines à le lire. Pas réellement étonnant quand on pense que je suis passé par des périodes pénibles et studieuses durant la lecture. Mais – il y a toujours un mais, n’est-il pas ? - à peine plus de deux-cents pages, il ne faut pas plusieurs semaines pour lire à peine plus de deux cents pages !
Alors, pourquoi ?
Parce que je me suis ennuyé. Avec du Vance, oui, madame !
Arrivé aux alentours de la page 120, je me suis posé la question qui sous-tendait cet ennui totalement inattendu. Et je baise mes mots quand je pense aux folles heures que je passai il y a… autour de trente ans à la lecture du cycle de Tschaï ou les quelques textes de cet auteur que je dévorai alors. J’ai pensé à la panne de la création, à la distraction obsessionnelle que constituait ma vie à cette période. Non, quelque chose clochait, un je-ne-sais-quoi qui me soufflait à l’oreille de chercher et chercher mieux.
Et j’ai compris en voyant la date de la première publication de ce titre : 1950.
Les Cinq Rubans d’or est quasiment un premier roman, Vance n’est pas encore l’immense conteur qu’il deviendra (lapalissade) et, à l’évidence, le néophyte en est à chercher un style, un public, une notoriété ?
Les Rubans n’est finalement qu’un roman de gare, avec ses bons côtés (lecture palpitante, rapide, rebondissante, Vance se régale déjà en décrivant des créatures et des civilisations bigarrées) et ses mauvais (écriture assez pauvre, tout va à l’aventure, psychologie des personnages binaires, profondeur du récit zéro). Une enquête rythmée qui se déroule dans l’espace. C’était l’époque, celle de la SF tonitruante et directement inspirée de l’unique mythologie américone : le western. Le Maccarthysme nous est épargné, c’est déjà ça.
L’édition d’Actus SF est très jolie, en tout cas.