image décoUn jour… Enfin, pendant trois mois et pas « un jour », j’ai travaillé comme homme-à-tout-faire-plonge-comprise dans un restaurant… enfin, une gargote du bord de mer…
Une gargote du bord de mer comme la Côte d’Azur en compte une myriade.
[ Note pour moi-même : elle promet d’être longue et chiante, celle-là ! ]
Le patron faisait la cuisine lui-même…
Enfin, la cuisine… Je devrais parler de vague mise en assiette de plats rapidement assemblés selon une méthode que je qualifierais de barbare. Oui, servir des denrées malodorantes à des gens en vacances pour un prix surréaliste, j’appelle ça de la barbarie. On peut dire malhonnêteté aussi.
Le patron faisait la cuisine lui-même, son épouse servait de moulin à paroles (ce qui a le mérite de faire profiter d’une légère brise bienvenue sous ces latitudes), la serveuse servait à m’agacer les sens avec sa poitrine remarquable et moi je faisais le con. Je sortais les lits de plage après l’avoir ratissée (la plage), j’épluchais les pommes de terre, les moules (oui, c’est fou ce que des moules avariées charrient comme ventouses rigides sur la coquille), je faisais pré-frire les frites, je sortais des trucs, j’en rentrais d’autres, je réceptionnais les victuailles auprès de livreurs fort pressés (tout spécialement, celui que je devais payer en argent liquide…), bref, je faisais le con.
Pendant…
Non, je ne sais plus exactement quand, c’était en 1992. À l'été 1992, je ne me souviens pas comment je m’appelais, comment voulez-vous que je me souvienne de l’exactitude de la date de ce qui va suivre ?
En gros, je passai un premier mois à m’exténuer la santé que j’avais robuste à l’époque (maintenant, je suis une lavette, oui) à accomplir les tâches précitées avec un zèle remarquable, presque autant que la poitrine de la serveuse dont je me souviens parfaitement, allez savoir pourquoi…
Durant cette période, j’entendis plusieurs fois par jour le patron appeler sa femme. Il avait un bel organe et je pense que les mouettes s’en souviennent. Or donc, je l’entends héler son épouse des tas de fois et je remarque qu’il l’appelle Thierry.
Quelle étrange coutume me dis-je alors. Oui, pourquoi appeler quelqu’un qui, tout en étant une épouse n’en est pas moins femme de sexe féminin. Avec des nichons et une trousse à crayons, je veux dire. Oui, pourquoi appeler son épouse Thierry ?
Parce que c’est le moment précis de l’histoire où je vous apprends qu’elle… ne se prénommait pas Thierry. Surprise !
Comment s’appelait-elle ? Mais je n’en sais rien, je crois vous avoir déjà dit que je ne me souviens que d’une chose : les seins de la serveuse qui étaient remarquables !
Ah non, je crois me souvenir du moment exact où j’ai perdu toute chance de pouvoir les connaître de façon plus intime (oui, les seins). Parce que je dois vous dire que, cet été-là, correspond à l’été de ma seconde bécane, celle avec laquelle je récupérais ladite serveuse à la poitrine fabuleuse en bas de l’immeuble qu’elle occupait pour la durée de la période estivale afin de nous rendre, ensemble, sur notre lieu de travail, la gargote déjà évoquée plus haut et si vous avez lu cette phrase sans point d’une traite, vous devez être en train de me maudire.
Je stoppe le bolide en bas, après avoir retiré mon casque, j’embrasse chastement la créature, nous discutons quelques secondes, elle met son casque, grimpe derrière moi et… rien.
Nooooon, je ne parle pas de panne sexuelle, suivez un peu, il est 7h du mat, nous nous apprêtons à aller bosser dans une gargote, nous ne sommes pas sur le point de festoyer sur nos corps respectifs !
Non, rien, la clef de la motocyclette tourne et rien ne se passe. Pas un pet de pot, rien qui signale la présence sous nos fesses d’un moteur à explosion, rien. Nada, que dalle, Zoubida, Christophe Maé, rien !
Là, je panique parce que je n’ai jamais manifesté le moindre intérêt pour la mécanique et, quand un moteur refuse de démarrer, je n’ai qu’une pensée : le renvoyer au constructeur et lui demander une bicyclette en dédommagement.
Parce que là, attention, on parle de l’année de mes 24 ans, j’en suis encore à penser qu’il faut être tout-puissant, infaillible face à une représentante de la gent féminine !
(Un jeune con, c’est plus rapide à dire et plus direct).
Donc, dans mon cerveau de mammifère inutile, je me dis que je dois vite trouver un prétexte, n’importe quoi pourvu que je puisse garder un peu de tenue face à Machine. Non, je ne dévoilerais pas son prénom, pour qui m’avez-vous pris ?
Je fais le mec interloqué mais pas trop, genre qui maîtrise son sujet, en mode « satané tête de delco (1), je le savais que ma réparation d’avril ne tiendrait pas » et je me penche sur le moteur. Le truc était énorme, 1100 centimètres cubes de 1983 refroidis à l’air, ça fait grosse machine. La seule chose qui passe dans ma tête est le message suivant : « T’es foutu, on va arriver à la bourre et jamais elle ne te regardera » (non, elle ne m’a jamais regardé, ni avant cet incident ni après). L’angoisse du mec tellement bouffi d’arrogance qu’il est convaincu d’être en tête de liste des glandus qu’on moque partout où il passe (et c’est la réalité, je l’ai appris par la suite, mais ce sera l’objet d’une autre Insignifiance, soyez patients). Au moment où mon cerveau qui transpire déjà de honte ébauche une idée suicidaire (2), mes yeux se posent sur un petit câble bicolore dont une extrémité est faite d’un métal gris pâle et qui m’évoque le fameux « machin débranché » dont tous les artisans savent qu’il s’agit du « truc que j’aurais jamais cru que ça passait par là et, d’abord, à quoi ça sert », le fameux, le célèbre !
Alors là, saisi d’un électrisant sentiment de confiance, celui-là même qui me sera pratiquement inconnu jusqu’à aujourd’hui à part ce jour-là - cette phrase est merdique, mais je la laisse en l’état, juste pour ennuyer Olivier qui ne me lira pas jusque là – j’attrape le petit câble et je passe deux secondes à trouver un emplacement qui pourrait, si les dieux veulent bien, exister une minute, être la partie sur laquelle il s’adapte.
Et je le trouve !
Le câble s’imbrique divinement bien sur la partie femelle, un peu comme… enfin, vous avez compris, deux trucs qui s’imbriquent naturellement, vous voyez, non ? Oui, c’est ça, comme une clef et une serrure.
La clef ou la clé ? Doit-on écrire clef ou clé ? Si vous vous posez sérieusement la question, je peux vous donner l’adresse de ma psy.
La seule fois qu’il m’est arrivé d’avoir une chance pareille, ce fut le jour… Non, je vais garder ça pour une Insignifiance future.
Gros coup de chance, donc !
Clic clac, le câble gris pâle est en place, je me relève, j’actionne le bouton du démarreur…
Oui, c’était une motocyclette de fabrication japonaise. C’est-à-dire TOUT sauf une bécane. Enfin, bon, je mets les Arlé DaVidesDeSens à part, tout le monde croit que ce sont des motocyclettes alors que ce sont des machines agricoles. TOUT sauf une bécane. Je voulais une anglaise, ou une italienne à la rigueur, mais l’époque était déjà au macronisme – OMFG ! il avait 15 ans en 1992 ! – et les fins de mois ressemblaient à Gobi, le désert, pas le copain de mon père. Oui, mon père avait un copain qui se nommait Gobi. Ne me demandez pas comment une chose pareille est possible, c’est au-dessus de mes forces. Les fins de mois étaient raides comme des matraques de CRS, je n’aurais jamais pu m’offrir autre chose qu’un ersatz de motocyclette si je n’avais pas, quelques semaines auparavant… Non, je vais garder ça pour une Insignifiance ultérieure.
La moto se démarrait à l’aide d’un vulgaire bouton. Comment voulez-vous que j’aie eu une croissance ordinaire avec des horreurs pareilles ? Putain, mais quel est le con d’ingénieur qui, un jour, a inventé le démarreur électrique ? Une bécane, ça se démarre au kick, c’est tout ! Ça forge le mollet et l’homme !
Mais passons sur cette colère fort légitime, les couillus à cuir et casque me comprendront, les autres peuvent crever sur le bord de la route, jamais je ne m’arrêterai, jamais, vous m’entendez ?
La bécane a démarré au quart de tour. Expression qui n’a plus aucun sens avec un démarreur électrique ; putain, ça m’énerve !
J’ai ressenti comme une éjaculation de fierté me traverser d’une oreille à l’autre. Alors qu’il s’agissait d’un coup de bol magistral, vous avez bien lu.
Comment j’étais tout content de moi… J’utilise à dessein cette expression moderne pour vous faire oublier mon âge.
Nous sommes allés bosser grâce à mon génie mécanique. Mais ce que je ne savais pas, c’est qu’elle (la fille, pas la bécane) avait compris qu’il s’était agi de chance et pas de compétence. Elle n’a plus voulu être ma passagère après ça, ne voulant pas prendre le risque de perdre son boulot à cause d’une vieille tripe tokyoïte.
Et avec ça, comment voulez-vous qu’on en soit arrivés aux vains ébats de l’amour ? Car tel était le but de mon propos dissous.

Mais son épouse ne se prénommait pas Thierry, alors pourquoi l’appeler Thierry ? (abrupt comme retour à la réalité, n’est-ce pas ?)
La question me taraudait tout le jour, du moment de ratissage à la plonge de 1h du matin, l’enfer. Pourquoi « Thierry » ? Why ? Tell me tell me why !
Je pense que j’ai osé le lui demander un bon gros mois de 40 jours après. Ce qui correspond à la période où j’avais abandonné tout espoir de :
1. M’approcher à moins de 10cm de la poitrine de Micheline (oui, elle change de prénom, la coquine),
2. Parvenir à faire quoi que ce soit d’autre que aller bosser, bosser, rentrer et dormir,
3. Voir des visages de touristes satisfaits de leur repas au rest… à la gargote.
Summer of the living dead.
N’ayant plus rien à perdre, je suis allé lui demander pourquoi il appelait sa femme Thierry.
Il n’appelait pas son épouse Thierry mais Chérie.
Il prononçait Tchérie. Qui sonnait comme Thierry à mes oreilles.
Sept mois et demi après cet été en pente douce, je m’enroulais autour d’un rail (dit) de sécurité. Mais, je vais garder ça pour une Insignifiance future.

(1) il n’y avait pas de delco sur ce moteur de motocyclette
(2) j’affirme que le suicide est la solution au célibat tout comme une des deux solutions à la vie en couple.

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