À l’occasion des Jeux Olympiques 2012 et la boulimie (bouillie?) médiatique afférente, j’ouvre un article pour m’amuser.
Avant de parler du sportif, sachons le définir.
On désigne par sportif toute créature qui s’adonne au sport. Qu’il s’agisse là d’un procédé de métonymie qui bafoue les règles de la langue (c’est usuel dans le monde, employer des adjectifs comme des noms) ne rend personne nerveux et c’est à cela qu’on distingue l’homme de l’huître. Le mollusque acéphale hermaphrodite ne se le permet pas, lui, civilisé qu’il est.
Le dictionnaire Littré nous apprend que le sport est un mot anglais employé pour désigner tout exercice en plein air, tel que la course de chevaux, le canotage, la chasse à courre, à tir, pêche, tir à l’arc, gymnastique, escrime, etc.
Ne soyons pas rétrograde et rendons grâce à notre époque en augmentant cette liste non-exhaustive de toutes les disciplines à couvert comme la natation (sous l’eau), la course automobile (soupape) et les activités sexuelles (soupirs).
Ainsi donc, le sportif se consacre au sport et se distingue par là-même de la bête. A-ton déjà surpris un caméléon tenter de percer une cible en son centre à l’aide d’un pistolet à air comprimé ? Le sportif est donc un être humain et, bien que l’objet de cet article soit de démontrer le contraire, il parle. À défaut de s’exprimer. Grâce aux retransmissions radiophoniques et télévisuelles qui peuplent vos jours comme mes nuits depuis dimanche (je tape ces mots le mardi 31 juillet 2012, à la frontière du mercredi), nous allons, ici-même, apprendre à déchiffrer les sportifs.
Je déclare ouverte l’étude abécédaire (abrégée) du sportif !
– 100% – Le sportif est régulièrement à 100% de ses capacités. Ce qu’il serait étonnant de constater chez le gras-double sédentaire que je suis l’est moins pour un athlète qui passe son temps à courir, sauter, nager, pédaler. Mais n’allez pas dire à un sportif que vous vous doutez bien qu’il donne tout ce qu’il peut plutôt que s’arrêter sur le bord de la piste pour se gratter l’entre-jambes, il serait capable de vous répondre par un coup de pied rageur. Un coup de pied haut tournant pour les plus vicieux (voir « J’ai tout donné » ).
– 200% – Le sportif est plus rarement à 200% de ses capacités. In fine, accomplir des prouesses dont notre corps est incapable est impossible. Ou alors, il faut être américon, porter une cape rouge, un slip bleu et venir d’une autre planète. Mais n’allez pas dire à un sportif qu’il ment lorsqu’il prétend dépasser les limites physiologiques de son enveloppe corporelle, il pourrait vous faire la démonstration cuisante du danger que représente un javelot ou un bonnet de bain.
– C’est clair – Il est communément acquis que la parole du journaliste, qui a le temps et les moyens techniques d’analyser toute situation sportive sponsorisée (sinon, ce n’est pas couvert par le journaliste qui ne travaille que sur les événements d’envergure, c’est-à-dire qui n’ont de justification que comme support au boniment publicitaire), la parole du journaliste, disais-je, est d’or. Le sportif, futé comme pas un, a, depuis longtemps, trouvé un moyen efficace de fuir les micros et de s’épargner l’humiliation d’une conversation et confirme la parole sacrée du journaliste par de limpides « C’est clair » (voir « Ouais »).
– C’est la loi du sport – Nous savons qu’il y a les tables de la loi de Moïse et la loi du sport. Autant, la première est sujette à caution, tout comme la foi qui la sous-tend, autant la loi du sport est indiscutable et irréfutable. En voici une preuve, elle-même incontestable : lorsqu’un sportif français ne parvient pas à la hauteur des espoirs des journalistes, c’est à cause de la loi du sport. Terminer à une place d’honneur est également un sale coup de la loi du sport et jamais une défaillance du sportif, surtout chez les sportifs français.
– J’ai tout donné (voir 100%) – Tout donner, pour un sportif, est une sorte de rituel itératif qui lui permet de donner un nom à son échec. S’il a tout donné, il ne pouvait pas égaler, encore moins l’emporter face à ses camarades (on n’a que des amis dans le sport) et néanmoins adversaires (arrêtez, on va penser qu’il s’agit de compétition !). Cette pirouette rhétorique autorise le sportif à s’absoudre sans effleurer l’humilité.
– Je mérite ce résultat – On touche ici à ce que le sportif a de plus volumineux : l’ego. Le mérite s’accompagne, le plus souvent, des mots travail et sacrifice. Le sportif travaille et sacrifie sa vie à son sport. Et, tout comme des millions de personnes sur Terre qui adoptent un train de vie monomaniaque, le sportif obtient des résultats. Mais, quand c’est un sportif, c’est forcément plus digne et bien plus beau que le combat d’un syndicaliste ou d’un altermondialiste, un activiste écologiste ou le membre d’une ONG. C’est pour cela que le sportif mérite ses résultats, lui.
– Je suis allé chercher la victoire, le match, la médaille, le chrono, etc. – Pour des gens qui passent leur temps à concourir, les sportifs sont volontiers surpris de l’emporter. Lorsqu’ils « vont chercher une victoire », ils signifient qu’ils ont concouru pour gagner en donnant le meilleur d’eux-mêmes (voir 100%). Surprise ! Tout le monde pensait qu’ils étaient en villégiature avec leurs shorts bariolés et leurs chaussures de randonnée à bandes.
– On a (j’ai) travaillé – Le sportif travaille, comprenez-vous. Il forge son corps à répéter les mêmes gestes optimisés jusqu’à n’être plus qu’une enveloppe vidée de son sens. Une machine. C’est l’essence même du sport moderne : sculpter des machines sponsorisées prêtes à montrer les couleurs et le logo d’un annonceur le plus longtemps possible. Pour cela, il lui faut gagner ou, pour les épreuves de longue haleine comme le Tour de France, s’échapper le plus longtemps possible, car on filme les échappées (qui sont, en grande majorité, rattrapées par le peloton, preuve de l’inutilité sportive de l’exercice). Le sportif travaille et, lorsqu’il est une bonne machine à son maîmaître, il gagne. Et là, en sueur, devant un micro et des millions de décérébrés comme lui, il lâche entre deux respirations bruyantes : « J’ai travaillé ». Juste après avoir revêtu la casquette du sponsor, montré la marque de ses skis, enfilé le maillot de l’annonceur, en tenant bien haut une canette de saleté, etc.
– On n’a (je n’ai) rien lâché – En individuel comme en équipe, le sportif ne lâche rien ; mais ne soyez pas moqueur : le sportif ne parle pas de son marteau, sa raquette ou son ballon. Personne ne sait de quoi parle le sportif quand « il ne lâche rien ». Les plus éminents sémiologues s’étant penchés sur cette tentative de dissertation, il est permis de penser que ne rien lâcher signifie ne pas donner l’occasion à l’adversaire de l’emporter. Le contraire revient à hypothéquer ses chances de victoire, autrement dit perdre son sponsor. Le sportif s’efforce, par conséquent, d’occulter le parrain de ses adversaires en leur imposant son commanditaire.
– Ouais – Ici, le sportif rejoint la magnificence et le génie expérimental de l’enfulte. Le sportif, comme sept milliards de connards sur Terre préfère le ouais préhistorique au oui qui porte l’acquiescement au niveau d’art linguistique. Ce sujet n’a rien à faire ici, veuillez me pardonner.
– Valeurs du sport – Les valeurs du sport, sacro-saintes, exemplaires, proverbiales et… bafouées. 
J’arrête un peu le sarcasme et la moquerie pour vous livrer une anecdote qui, pour avoir bientôt 40 ans d’âge, n’en est pas moins véridique. 
J’ai pratiqué exactement deux sports dans ma vie. Aucun ne m’a rien apporté tout simplement parce qu’ils m’ont été enseignés par des êtres humains. 
Préadolescent, j’ai foulé des tatamis pour y découvrir les valeurs du Judo. Le professeur ne nous a jamais parlé de l’histoire de cet art martial, pas plus qu’il ne nous a appris les valeurs qu’il véhicule. Jusqu’à la ceinture verte, il s’est agi d’apprendre à faire tomber un adversaire pour gagner un combat. J’ai tiré ma révérence pour me mettre au jeu de balle au pied. Il le fallait bien, un des côtés de ma famille nourrissait une fascination pour les sports motorisés et l’autre pour ce jeu stupide qui n’a pour dessein que l’introduction d’une sphère de cuir dans un filet. Comme les sports mécaniques ont un coût prohibitif pour le monde prolétaire, je me suis laissé pousser sur les stades de pelouse ou de terre pour y pousser un ballon de façon très maladroite. 
Je me faisais déjà chier parmi ces gens et je n’avais que seize ans. Mais les valeurs du sport m’ont aidé : pour je ne sais quelle compétition locale, nous avions perdu ce qu’on appelle un match aller et nous nous apprêtions à disputer le match retour à domicile. 
Comme nous avions une équipe lamentable – imaginez un peu j’étais presque titulaire – nous étions en position de perdre quand la pause de la mi-temps survint. L’entraîneur (bénévole dans un club payant) entama une sorte de harangue dont les arguments furent les suivants : « Ils nous ont volé au match aller, j’ai parlé à l’arbitre, il est avec nous (c’est beau le bénévolat). Les arrières (dont je faisais partie), cassez-leur les jambes ! »
Je ne connaissais pas ces valeurs-ci du sport mais je sais une chose : que je ne veux plus jamais en entendre parler.
Mise à jour du 02 août :
– Néologismes – Les sportifs, dans le but de toujours plus marquer l’histoire avec des records, emploient des néologismes savants auxquels personne, pas même un académicien, ne penserait. Les sportifs affirment, par exemple, qu’une rencontre est « gagnable », qu’ils peuvent « scorer » ou « performer » sans un regard pour la langue qu’il sont censés respecter. Certains même vont jusqu’à augmenter le nombre de syllabes des mots qu’ils lâchent et se permettent de parler de challenge (trois syllabes) en lieu et place de défi (deux syllabes). Pour des gens qui passent leur vie à tout faire plus vite que leur voisin, ça fait désordre.
Mise à jour du 04 août :
Lorsqu’un journaliste rencontre un sportif…
Aujourd’hui, 14:30, je jette un œil à la télévision et j’assiste à un échange aussi bref qu’édifiant : Teddy Riner arrive sur le plateau et rencontre le journaliste de la chaîne publique (1) qui l’accueille. Le journaliste fait comprendre à l’autre qu’il aimerait toucher sa médaille. Celui-ci la lui tend, le journaliste la soupèse et il écarquille les yeux de surprise en lançant un « Elle est lourde ! ». 
Ce garçon doit être à peine plus âgé que moi et, logiquement, il a appris dès le début de sa scolarité, tout comme moi, que l’or est très dense, il pèse un âne mort. 
La remarque était déjà terrifiante, mais c’est la réaction de Riner qui prête le plus à rire. Le judoka a, en effet, rétorqué : « Elle fait son poids ». 
IN-CRO-YA-BLE !
Le sportif sait qu’une médaille d’or fait son poids. On peut légitimement se poser la question de savoir ce qu’il en est des médailles de bronze, de chocolat ou même des balais volants !

(1) La distinction est importante, on ne peut reprocher aux sociétés privées d’employer des analphabètes comme chez TF1, alors que le service public a une mission, lui.

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