Enter Nowhere, Jack Heller (2011)
Avec un pseudonyme pareil, on imagine bien le petit Jacques friand de films d'horreur de série B. Ce n'est même pas le cas, il tape à tous les rateliers, surtout la production, et fait manifestement partie de l'armée silencieuse des aspirants à la célébrité d'hollywood. Autant dire One In A million...
Le petit Jacques a tourné deux longs-métrages dont Enter Nowhere qu'il n'a pas écrit puisqu'il a laissé cette tâche à deux auteurs aussi peu connus et aguerris que lui, tous les trois étant, tour à tour, producteurs, réalisateurs, producteurs exécutifs, blabla...
Enter Nowhere est bien ficelé et c'est son seul atout ; sauf à considérer que la présence d'un des fils de Clint Eastwood au générique est un atout. Bien ficelé car, une fois que le premier rebondissement...
La digression élève l'homme...
Encore une fois, tout repose sur ces fameux rebondissements qui semblent être devenus la raison d'être du cinéma... moderne ?
Quand reviendra-t-on à l'émotion et aux idées brillantes ?
La digression élève l'homme, disais-je, mais le propos est ailleurs.
Bien ficelé dans sa progression et le dosage des révélations. « Trois étrangers, une connexion mystérieuse », tout est là : qu'est-ce qui réunit ces trois personnes qui, bien entendu, semblent n'avoir rien en commun ?
Une fois le premier rebondissement passé (ou encaissé pour les aficionados de ce genre de pirouette), les surprises se succèdent à un bon rythme.
Las ! Malheureusement, le cinéma peut aussi être une affaire de fric ; par petites touches, fort heureusement.
La scène de bombardement de Enter Nowhere ressemble tellement à la tentative maladroite d'un lycéen dépressif qui découvre une caméra pour la première fois, que ça donne envie d'éteindre le magnétoscope et fumer un joint pour se remettre de tant de médiocrité.
On leur a pourtant dit que les films fauchés doivent compenser par des idées et/ou des innovations d'écriture, on leur avait dit, pourtant. Eh bien les trois loustics n'en ont fait qu'à leur tête et la scène du bombardement - pourtant justifiée par la chronologie du scénario - devient le talon d'Achille d'Enter Nowhere. Le cinéma, art de l'illusion, ne se satisfait plus des illusions de Méliès.
Pour le reste, on a encore de bons clichés puants, notamment à la fin et, en parlant de clichés, une scène est à noter tout particulièrement ; celle où Samantha, la femme prude et catholique, demande à Jody, la fille paumée athée, qui fume de l’herbe et qui jure : « je peux le voir ? » (avec un sourire d’enfant à qui on a promis une rencontre avec le père Noël et qui va, enfin, « le voir »). « Je n’en ai jamais vu autant » ajoute-t-elle lorsque Jody lui montre l’argent liquide qu'elle a dérobé au début du film… c’est pitoyable, avilissant ! L’argent fétiche rend l’Homme con et l'Homme se plaît à se le rappeler, à s'en convaincre, à s'y vautrer... Pauvre film.
The Platform, Galder Gaztelu-Urrutia (2020)
Je suis très étonné. Pas par le film mais par les réactions de la presse que j’ai pu lire après visionnage du long-métrage. Même Positif, la bible du bon sens critique, par la voix de Yannick Mouren, profère « La Plateforme propose une critique implacable de la théorie économique du ruissellement (chère aux tenants du libéralisme économique) ». Il faudrait vraiment, en effet, avoir perdu son cerveau dans les embouteillages pour ne pas voir l’évidence de la parabole.
Mais…
Mais, ajouter un peu de guirlandes de circonstances(1) à un film banal (il ressemble au film Netflix qu’il est, autrement dit à tous les films Netflix), basé sur une sorte de « et si… » (comme tous les films Netflix et, plus généralement, la presque-intégralité de la production hollywoodienne de ces vingt dernières années), ne fait pas un bon film.
Ça fait un… produit de consommation courante et c’est bien là le génie de cette idéologie supposément dénoncée dans ce film. Un produit de consommation courante qui se vend et rapporte de l’argent, fait tourner une économie… de l’inégalité.
Tout comme Fight Club, bouquin le plus sain de l’histoire de la littérature de fiction, et son adaptation cinématographique, The Platform c’est un peu comme un t-shirt « fuck the war » ou « save the children », une déclaration d’intention. Vaine et récupérée.
Un film inutile sauf pour ses producteurs.
(1) Pour être dans l’air du temps, il suffit ici de laisser traîner deux ou trois références occultes implicites (putain, 333 étages x 2 occupants = 666 ! Mais alors, c’est l’Enfer de Dante !) et le tour est joué.
Simple Mortel, Pierre Jolivet (1991)
Ce soir, j’ai revu Simple Mortel et je réalise à quel point les goûts sont affaire d’époque, de circonstances et de culture (au sens d’environnement). À l’heure des séries au scénario dilué, aux rebondissements aussi nombreux qu’infertiles, les films de trente ans comme Simple Mortel peuvent sembler désuets. Pourtant, il y a dans ce film la même quintessence de scénario que dans les films hollywoodiens modernes ; le gras, les additifs et l’emballage en moins. Si ce film avait été tourné en Californie en 2020, il durerait deux heures et des louches plutôt que 85 minutes, le protagoniste principal n’arrêterait pas de courir, de se battre, d’enchaîner les cascades. Seulement voilà, Simple Mortel est le fruit d’une époque héroïque où vendre n’était pas tout. Ce n’est peut-être pas pour rien si Jolivet est acteur dans le seul bon film de Besson, quand ces deux-là s’endettaient pour donner vie à des projets. Simple Mortel porte la marque d’un auteur, pas le sceau d’un producteur. Tourné avec un billet de cent francs, ce long métrage jongle pourtant avec des thèmes terribles, montre bien des horreurs… sans en faire des tonnes. Mais le poids est là, Simple Mortel n’est pas si simple que ça. L’idée est con – ce qui fait un point commun avec les films d’hollywood – les spectateurs n’ont jamais d’explication (impensable !) mais ça fonctionne… si on oublie l’époque dans laquelle on vit.
A Quiet Place, John Krasinski (2018)
L‘autre soir, j’ai regardé A Quiet Place, ignorant tout du film sauf un vague aperçu rapide saisi je-ne-sais où entre deux sites internet d’intérêt. Il faut comprendre ici que j’ai dû entrevoir les premières images d’une bande-annonce lancée automatiquement. Le quotidien du vingt-et-unième siècle… même quand on ne veut pas d’images, on est contraint d’en regarder.
L’autre soir, j’ai donc regardé A Quiet Place avant de me coucher. Avant de me coucher, c’était donc, techniquement, le matin. Tard ou tôt, selon le point de vue.
Cette nuit-là, donc, j’ai regardé A Quiet Place.
Je m’attendais à un bon gros film hollywoodien binaire, bruyant et qui n’a d’autre ambition que divertir. J’ai vu un film hollywoodien binaire, bruyant et qui n’a d’autre ambition que divertir.
Les termes binaire et hollywood s’accordent parfaitement, c’est l’évidence même. Même lorsque le métrage est une réussite et A Quiet Place est une réussite. Binaire. Il ne faudra pas donc espérer qu’il s’agisse d’autre chose que de cellule familiale menacée, d’héroïsme et d’emphase. Comme dans tous les films californiens, une famille fait front courageusement (et avec toutes les invraisemblances dont hollywood pare ses productions) contre une invasion extra-terrestre. Le père, poussé par la peur de voir sa famille décimée, sort la cape et les super-pouvoirs pour, finalement, se sacrifier pour sauver tout le monde (paix à son âme, une statue sera érigée en sa mémoire dans toutes les capitales du monde). Les acteurs gardent les yeux ronds tout du long, ça pleure et ça geint au point de saturer la bande son, mais ça reste digne.
À ma grande surprise, ça fonctionne. Parce que le sujet – probablement déjà traité par plusieurs livres de SF – est prenant (je pense que beaucoup de spectateurs ont dû se surprendre à se mettre en apnée ou serrer les fesses pour que le geste d’un protagoniste ne fasse pas de bruit). Parce que Krasinski se débrouille avec une caméra, pardon, sait diriger une équipe de tournage et parce que, eh oui, c’est produit par Michael Bay, une des plus grosses machines à filmer des drouilles de l’histoire de l’humanité. Ceci n’est pas franchement un argument à l’exception des séances nocturnes dues au désœuvrement (comme c’est le cas ici).
Nous suivons donc ce papa américon (la cape), son épouse et leurs enfants lutter contre cet envahisseur venu d’on ne sait où (mais sûrement du ciel) qui ne voit rien mais qui attaque l’origine de tout son inhabituel. Bien évidemment, cet extra-terrestre est une machine de guerre dotée d’une ouïe phénoménale, d’une force et d’une agilité incommensurables et d’une cruauté sans bornes. Personne ne se demande ni n’explique pourquoi ça défouraille sans but. Ils pourraient faire ça pour une bonne raison comme s’alimenter ou soulager la douleur que leur procure certains sons. Même pas, on jurerait qu’ils frappent pour plaire au crétin derrière la caméra. Un peu comme les communistes dans l’imaginaire collectif américon…
Ça résiste héroïquement, ça met en œuvre des compétences de chercheur de CNRS et, finalement, ça glorifie l’amour filial en se sacrifiant. Merci papa et adieu.
Le rideau tombe mais, l’ennemi est toujours là, vite, vite, encore un film qui va rapporter gros !
A Quiet Place part II, John Krasinski (2020)
L’autre soir, j’ai regardé A Quiet Place part II. Cette fois-ci, il n’était pas encore minuit. C’est bien la seule différence qu’on peut faire avec la chronique du premier opus puisque A Quiet Place part II est un film hollywoodien binaire, bruyant et qui n’a d’autre ambition que divertir.
Le père est parti, c’est le tour de la mère de se muer en super-héroïne. Dans A Quiet Place part II, le quatuor (maman, deux morveux et un nouveau-né) quitte le refuge que papa avait bichonné et s’aventure dans le vaste monde infesté de bestioles pour le moins irritables.
La petite bande est censée se confronter à la bestialité humaine (oh mon Dieu ! comme tout ceci est nouveau et surprenant : les Hommes deviendraient des monstres une fois livrés à leurs instincts de survie...) mais, pas trop, faut pas déconner, le film est fait pour être vendu et un adolescent américon consomme en plus d’acheter sa place de ciné ou sa location en VOD ! Faudrait pas être censuré…
Tout se passe comme prévu, bim bam boum, ça défouraille, ça fait pan pan et grr grr crac boum hue ! Et ce sont les enfants qui prennent le flambeau de l’héroïsme familial et donnent des leçons de courage et de ténacité aux adultes quelque fois un peu lâches, il faut bien le dire, n’est-ce pas monsieur Cillian Murphy ? Mais pas trop, faut pas déconner, les gens sont lâches mais jusqu’à un certain point où ils apprennent de la vie. Comme dans la vie courante, en quelque sorte(1)…
Mais, ici aussi, c’est rageant, ça fonctionne. En apnée toutes les deux minutes, on a peur pour maman Courage et ses marmots ; on imagine la façon dont on réagirait dans la même situation, etc.
Et les amateurs de jeu de balle au pied s’extasient devant les bastons, les cascades et les poursuites.
C’est bien fait quand même…
(1) Ce qui est frustrant avec le sarcasme ou l'ironie, c'est qu'on ne sait jamais s'ils vont être perçus comme tels...
Street Kings, David Ayer (2008)
Avec ce film, j’ai voulu oublier que j’étais un être sensible et capable de raison – j’ai dit capable – et me vautrer dans un polar d’action américon. Il faut me comprendre aussi, la période est propice à ce genre d’abandon (2020). Alité depuis des mois, je ne peux ni lire ni écrire sans ressentir un froid à décalotter un manchot empereur. Dans ces conditions, réfléchir devient une torture, penser un châtiment. Alors, un polar d’action américon, pourquoi pas.
Pour l’action, c’est clairement d’une efficacité rare. Le David Ayer sait y faire, un coup d’œil à sa filmographie suffit à s’en convaincre. Mais l’action de Street Kings n’est pas que spectacle suspect, elle sert la noirceur du film. Elle y est violente, crue et réaliste.
Quant au polar, il recèle des fragrances qui m’ont rappelé des lectures des années 90. Celles de James Ellroy, les premiers James Ellroy, avant qu’il ne se prenne pour un historien, quand il se cantonnait aux récits nerveux, froids et sombres du quotidien de la mort. Lorsque j’ai vu ce nom au générique de fin, j’ai souri. Le scénario de Street Kings est de sa plume et date du début des années 90.
Ainsi, les 105 minutes du film sont nerveuses, froides, délicieusement amorales et sombres comme le quotidien d’une unité de flics véreux d’Ellroy et frénétiquement réalistes comme un film de David Ayer. Je n’ai regretté qu’une chose : Keanu Reeves toujours aussi blette et la défection de Sean Penn pour le rôle. M’enfin, pour m’avoir sorti de la grisaille de mon plumard pendant 105 minutes, je dis « Merci David ! ».
Gravity (contre Interstellar ?)
L'autre jour, j'ai regardé Gravity. Encore un procédé rhétorique sans fondement, cet « autre jour » date de quelque part entre 2017 et la mi-2018, sa nature indéfinie me paraît adéquate. Et puis, on se fiche bien de savoir quand j'ai vu ce film.
Gravity, Alfonso Cuarón (2013) - Interstellar, Christopher Nolan (2014)
L'autre jour, j'ai regardé Gravity, donc.
Il fallait que j'assiste à ce spectacle tant décrit comme un prodige dans les médias. Non pas un fim, un spectacle. 3D qui plus est, hola, ma Dame !
Je l'ai donc regardé sur un écran de 60cm, sans 3D. À l'ancienne ? Non, comme un réfractaire qui refuse de cautionner la mise à mort du cinéma en remplissant les caisses des producteurs américons. Raison pour laquelle je vois les sorties les plus putassières des années après leur sortie.
L'autre jour, j'ai regardé Gravity, re-donc.
Un film d'aventure de plus. En 3D. Dans l'espace.
Encore un film d'aventure, comme ça se fait pour tous les sujets, même les plus… concernés, même ceux supposés délivrer des émotions.
Même Interstellar est plus intéressant parce qu'il ne se contente pas de « belles images » et de montrer « la grandeur des humains » confrontés à des situations hors du commun, avec un peu de Dieu dans tout ça.
En termes de scénario, Gravity est minuscule et c'est là sa seule grandeur. Parvenir à captiver des centaines de millions de personnes sur le globe avec des images vaines qui bougent (vite) sur un écran, c'est grand. Mesmer ferait-il aussi bien ?
Même si on retrouve les mêmes ficelles dans ces deux flims, Interstellar voit plus loin. Mais pas plus loin que ce qui a déjà été écrit vingt fois dans la littérature de l'imaginaire. C'est à croire que les lecteurs ne vont pas au cinéma. Ou que les spectateurs de grands complexes de cinéma ne se respectent pas.
Un film d'aventure déjà écrit, avec les détails, les incohérences scientifiques, la myriade de clichés, de rebondissements prévisibles (parce que tous les scénarios hollywoodiens sont basés sur la même ligne, cardiaque). Chaque fois, je me pose la question de savoir comment ces centaines de millions de personnes peuvent supporter une pareille routine de l'inexpressivité (non, ce terme n'existe pas).
Gravity n'aurait pu avoir d'existence qu'à la condition que Ryan meure noyée dans la capsule après l'atterrissage ! Cela aurait eu le mérite de stupéfier des centaines de millions de volailles en batterie.
Spider, David Cronenberg (2002)
L'évoquer sur un forum de personnes de goût m'a donné envie de le revoir, j'ai donc revu avec grand plaisir Spider.
Ce film est un drame, il n'est question ni de science-fiction, de fantastique ou de cinéma de l'imaginaire, il s'agit au mieux d'un drame qu'on pourrait qualifier de drame de l'imaginaire…
« Après plusieurs années d'internement, Spider, un jeune homme souffrant notamment de schizophrénie, est transféré en foyer de réinsertion dans les quartiers de l'est de Londres. Non loin de là, Spider a vécu durant son enfance le drame qui a brisé sa vie. Avant ses douze ans, il est convaincu, dans son délire, que son père a tué sa mère pour la remplacer par une prostituée dont il était tombé amoureux. Spider replonge alors peu à peu dans ses souvenirs et décide de mener une enquête… »
Oui, si on veut… rien ne dit qu’il est schizophrène et « l’enquête » n’en est pas une, il s’agit d’un cheminement mental à rebrousse temps (au début), puis… des découvertes. « The only thing worse than losing your mind… is finding it again ».
Les films de Cronenberg se prêtent aisément à l’analyse sur plusieurs niveaux. Tout d’abord parce que le metteur en scène sait parler de ses films comme un auteur possédé peut le faire, en véritable créateur passionné. Spider peut se regarder de plusieurs façons.
Sur allociné, par exemple, les fans de Fast And Furious s’ennuient, va savoir pourquoi. Parce qu’on ne pénètre pas dans la psyché d’un gars traumatisé en faisant crisser des pneus, je pense.
Sarcasme mis à part, comme pour Under The Skin, il s’agit de cinéma exigeant, ce n’est pas du divertissement (1). Ce qui peut paraître étrange sur l'écran, irréaliste pourquoi pas, a une bonne raison d’être… dans la tête du protagoniste principal. Ce qui fait de Spider un film expressionniste comme Cronenberg le dit dans le commentaire audio du DVD que j’ai le plaisir de posséder.
Spider pourrait n’être qu’un film de plus dans la longue liste des films à revirement final, mais non. En premier lieu, surprendre le spectateur ne semble pas être le but affirmé, on peut reconstruire l’histoire à partir d’indices et ne pas être surpris à la fin.
Si je classe Spider dans la catégorie des chefs d’œuvre, ce n’est pas seulement pour le boulot phénoménal de Ralph Fiennes sur son personnage ou la prestation de l’actrice qui tient trois rôles ou les mille détails de démiurge qu’a déployés Cronenberg (après tout, ce n’est pas si rare chez lui) en metteur en scène méticuleux qu’il est. Spider est un chef d’œuvre parce que tout cela s’agence – n’oublions pas la musique d’Howard Shore, une fois encore poignante et si prégnante, véritable clé de voûte de l’édifice – de façon miraculeuse pour faire un long métrage déchirant (je me suis rarement attaché à ce point à un personnage) et d’une telle beauté – les cadrages sont de vraies compositions artistiques, même le vide relatif de la bande son « ambiante » raconte une histoire. Celle de Spider.
(1) Il est plus qu’utile de faire la lumière sur l’emploi que je fais de ce terme. Je sais très bien quel en est l’usage courant et je ne voudrais pas laisser croire que je suis un triste sire qui refuse tout amusement et n’utilise ce mot qu’à des fins sarcastiques comme si s’amuser était synonyme de bêtise. Non, ce qui m’horripile dans « le divertissement », c’est sa sémantique quand on l’emploie pour qualifier une œuvre telle qu’un film.
L’Académie nous renseigne :
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DIVERTISSEMENT n. m. XVe siècle, au sens de « action de détourner quelque chose ». Dérivé du radical du participe présent de divertir. 1. DROIT. Détournement frauduleux. 2. Litt. Ce qui détourne quelqu'un de ses occupations, de ses soucis, de ses peines. Spécialt. Selon Pascal. Ce qui détourne l'homme de penser à sa condition, à la mort, au salut. 3. Amusement, distraction. Les jeux du cirque étaient le divertissement favori du peuple romain. L'étude était pour lui un divertissement.
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Et c’est bien là le problème. Se divertir avec Fast And Furious, par exemple, c’est s’oublier, oublier, se détourner de l’essentiel, s’endormir, s’engourdir et… prêter le flanc à tous les conditionnements. Au premier chef, celui qui consiste à croire qu’un film sans action, sans rebondissements réguliers, sans effet spectaculaire, un film pareil ne vaut pas la peine d’être vu. Cela a pour effet de priver les gens de toute curiosité, de tout appétit pour ce qui ne leur est pas familier, c’est-à-dire les divertir de tout ce qu’on peut faire en dehors du divertissant.
La lecture des commentaires de spectateurs sur un site consacré aux sorties cinéma vous en convaincra.
Salammbô, Flaubert
Ce soir, samedi 22 septembre 2018, je termine la lecture de Salammbô, mon premier Flaubert. Mon premier, oui, parfaitement ; comme un premier baiser, un premier repas chez un chef étoilé, les premiers pas sur la Lune. J'ignorais tout de Flaubert, je n'en savais que l'évidence rapportée par des plumes ou des voix éparses, toutes passionnées, enfiévrées à l'évocation de cet auteur… qui se définit comme « Un poète qui a choisi la forme du roman », un artiste et, très clairement, un impressionniste du verbe. Je dis « très clairement » parce que c'est ce qui m'a sauté au visage lors de la lecture du premier chapitre, intitulé « le festin ». Comme lors de ma découverte de ces peintres (contemporains de Flaubert) au lycée. La minutie du travail sur chacune des phrases éclate à travers le bonheur de la lecture et, au-delà du travail, ce sens de la syntaxe et du vocabulaire qui fait de chaque tournure un vers, de chaque paragraphe un poème. À ce sujet, j'avais lu que Michael Moorcock était un piètre coloriste et je comprends à la lecture de Flaubert, combien cela est difficile d'égaler la force et la diversité des couleurs que le poète dépose sur ses toiles. Les descriptions sont faites à l'aide de palettes et de nuanciers qu'on jurerait empruntés à des… peintres impressionnistes. Un romancier peintre et poète. L'édition de 544 pages que je possède contient une introduction de Pierre Moreau, probablement exégète de Flaubert, qui résume bien des choses et rend le génie de l'auteur ; pardon, l'artiste ; palpable dès les premières mesures du festin liminaire. Cette introduction m'a aussi appris que Salammbô est un des romans « fous » de Flaubert, considéré comme salutaire par ses détracteurs, déplacé pour ses adorateurs. Ce qui m'évitera de tout lire et risquer de ternir l'image de ce nouveau héros de mon panthéon.
007 Spectre, Sam Mendes (2015)
Pécaïre. Celui-ci est réellement dispensable. Les producteurs ont voulu coller à une préoccupation contemporaine (les infos, collecte et vol) et rien ne fonctionne, le scénario est simpliste, la musique banale (un comble pour du JB). De plus, Craig ressemble à un rugbyman à la retraite, tout cassé, il n'a pas d'expression, s'il avait été plus baraqué et torse nu, on aurait pensé à lui pour le Conan de cinéma ! Même au fond d’un lit d’hôpital, c’est de l’ennui en barre. Et puis, au sujet de cette histoire de vol d'infos, je suis surpris que ne soient pas évoqués les voleurs institutionnels que sont facebook, google, microsoft ou les escrocs d’amazon. Cela aurait rendu le sujet humain, voire on aurait pu déclarer que James Bond dénonçait, désormais, comme les courageux militants Francis Lalanne ou Nicolas Hulot…
Skyfall, Sam Mendes (2012)
Ah, James Bond... tout un pan de l'histoire du cinéma misogyne en action. À l'occasion de mon « fameux » séjour à l’hôpital de fin 2018, j’ai pu visionner ce Skyfall avec le fantasme moderne, j’ai nommé Daniel Craig. J’ai noté que le générique était bien plus orthodoxe que celui de 007 Spectre vu quelques jours avant, à croire que la moitié du budget y est passé. Les producteurs ont mis le paquet sur la photo, l'exotisme et le luxe. Ils ont sorti le grand jeu avec de la modernité à tous les étages, mais les bonnes vieilles recettes (celles des premiers avec feu Sean Connery) qui fonctionnent toujours et sauvent la mise du joueur de balle ovale à la main (ils ont même ressorti l'Aston Martin). La musique est à peine plus appropriée que pour 007 Spectre. La nouveauté, c’est que le film d'aventures est mort, place à la noirceur, c'est à la mode. Autre nouveauté supposée donner du corps au personnage, on en apprend plus sur la vie du demi de mêlée et, mon Dieu, les blessures ne sont pas que physiques ! Il y aurait un cœur qui bat sous les muscles saillants et la violente virilité ? Tout au long des 145 minutes du film, la violence et les scènes de mêlée de rugby se succèdent, adieu la classe et la subtilité, bienvenue les crac boum tacatacataca pan pow boum ! Cinéma moderne, trépidant, spectaculaire, écervelé. Inutile.
Finalement, ils ont raison, cela ne mérite pas mieux qu'un visionnage distrait sur un écran de portable ou de tablette, puisque ce sont là les nouveaux usages…