Bliss, Drew Barrymore (2009)
Il existe une certaine similarité entre Bliss et Juno. Similarité d'intention seulement. Tout ce qui est porté à l'écran sépare ces deux films. Là où l'un s'avance avec un ton décalé, des idées touchantes et un soupçon d'ambiguïté, l'autre rue dans les brancards de la vulgarité adolescente sans jamais approcher une quelconque cohérence si ce n'est celle de l'americon way of life (cellule familiale en tête). Barrymore s'y entend si peu en direction d'acteurs qu'elle parvient à rendre Ellen Page blette. Le scénario est écrit sur le front des acteurs et la bande son - se voulant percutante de modernité - ferait passer celle de Flashdance pour un chef d'oeuvre de l'art moderne. Pourquoi continue-t-on à servir aux adultes des films qui ne devraient être projetés qu'au collège ? Ajout du 21 août 2018 : je viens de constater que le titre original de ce long métrage dispensable est Whip It. Quand je pense au peuple québécois qui s'oppose à l'hégémonie américonne en traduisant de façon systématique les titres des films importés de leur frontière sud, je me dis qu'ils doivent bien rigoler en voyant qu'en France, le pays à l'origine de la langue qu'ils pratiquent envers et contre toutes les servitudes mondiales, le titre a été changé pour un mot anglais. Bliss contre Whip It... Comme on dit en bon français : seriously ? Il faut franchement mépriser son peuple pour oser de telles incohérences. Ou penser benoîtement que le français moyen connait le sens du mot bliss. Ou bien éviter toute forme d'effort au même français moyen pour le laisser mariner dans le jus de médiocrité dans lequel il perd le sens de la réflexion et, par là même, de l'idée de révolte.Le ridicule ne tuant pas, à l'évidence, je suggère de renommer quelques films du patrimoine français pour les rendre intelligibles aux simplets ci-dessus évoqués : Le Fouet de Gaston pour Itinéraire d'Un Enfant gâté. La Main de Dieu pour Intouchables. Running à Mexico pour Fantomas. Ainsi de suite…
Jarrett, Peacock, Dejohnette, Les Nuits de Fourvière, Lyon, 23 juillet 2010
Assister à un concert de ce trio est presque déroutant pour les personnes qui, comme moi, n'ont jamais su aligner deux notes ailleurs qu'au collège pendant les cours de musique. On est au-delà de la virtuosité. Parce que les trois hommes jouent ensemble depuis trente ans, leurs concerts relèvent de la démonstration d'empathie. Je n'ai reconnu qu'un morceau, mais la moitié du répertoire joué ce soir-là m'a enthousiasmé. Il n'est pas nécessaire de jouer d'un instrument pour se laisser aller lors d'un tel concert. Il n'y a rien de particulier à dire, excepté cela ; mais on perçoit toute l'universalité de la musique dans cette simple constatation. Oh, j'oubliais, ce concert a aussi sa face sombre... Quelqu'un a dit un jour, en substance, que la gloire était la mort éclatante du bonheur. Le 23 juillet 2010, ces Messieurs Jarrett, Peacock et De Johnette nous en ont fait une démonstration brillante. Avec ce trio, la virtuosité est au rendez-vous, mais les Hommes se sont fait la malle depuis longtemps. Jarrett a la réputation d'être capricieux, exigeant, caractériel. J'ajoute égocentrique, il ne faut pas oublier qu'il fait placer des micros dans son piano pour qu'on l'entendre gémir lorsqu'il joue. Pour des ministres du Jazz, les musiciens ont été exécrables et méprisants : déjà, ils arrivent avec 45 minutes de retard sans un mot d'excuse après qu'une personne a été chargée de nous avertir que 'les artistes' ne veulent voir ni enregistreur ni appareil photo. Après une demi-heure de musique, De Johnette arrête de jouer et fait signe à un spectateur qui vient de prendre une photo qu'il veut l'égorger. Oui, l'égorger, le sort qu'on réserve aux animaux d'abattage. Intervention de Jarrett qui réitère les menaces. Plus tard, l'incident a eu un écho terrifiant : arrivés au trois quarts du concert, les hommes s'interrompent et Jarrett intervient au micro (placé là pour ce seul effet) pour dire qu'ils ne reprendront pas la prestation tant que l'enregistreur de la personne au premier rang ne sera pas en leur possession. Le gars en question s'est avéré être une personne tétraplégique sur un fauteuil roulant électrique. La commande électronique de son fauteuil a certainement émis une petite lumière que le jazzman a confondu avec celle d'un dictaphone. Pas une excuse, à peine si le pianiste explique son geste. Ils nous ont royalement honorés d'un rappel et se sont tirés avec la caisse après 90 minutes de standards du Jazz. Minable !
Lab°
Voilà un groupe à la fois classique et original. Pour un amateur de Dub, il doit s'agir d'un bon groupe sans plus (si vous voulez mon avis, le Dub ne prête pas à plus). Par contre, si comme moi, vous cherchez la singularité partout, vous devriez être satisfait. Parce que de Dub, Lab° n'en a que le squelette. Si leur premier album, Dubalgan, sorti en 1999, est un album qui baigne dans ce style musical, il marque sa différence avec des à-plats hypnotiques, des climats tissés avec une guitare qui flirte avec la SF et une rythmique souvent étonnante (La chienne, même si samplée d'un morceau de Scorn pour le refrain ou 500 mg, très Jungle). Derrière La Pluie, daté de 2003, me fait l'effet d'un album un peu raté, sans idée tranchante ni temps fort. Mais ce disque va plus loin que son prédécesseur, étoffe le nombre d'instruments utilisés et explore bien plus les climats. Le groupe y perd en efficacité ce qu'il gagne en maturité expérimentale, gage d'intégrité. Le pénultième Müs, tout d'abord sorti en 2004 puis réédité en 2005, ne fait que brouiller un peu plus les pistes mais dépasse, par moments, les bornes du bon goût. Car Müs renoue avec l'efficacité, va même au-delà des espérances avec des morceaux imparables comme Enclume ou I can ; l'album prospecte et sonde son propre potentiel mais perd son âme à trop vouloir surprendre avec un intermède crétin comme Nice White Hat, sorte d'exutoire pour punk sous amphétamines en mal de pogo léthal. On aura compris : Lab° mérite sa chance.
NdA : J'ai écrit cette chronique peu avant la disparition des dinosaures. Lab° ne donne plus signe de vie depuis des années mais, peut-être est-il possible de les tracer à partir de vestiges archéologiques...